Graphic Nuggets, Marvel Graphic Novels

Michael Moorcock’s Elric : The Dreaming City (Roy Thomas/P. Craig Russell)

Dreaming City
© Roy Thomas & P. Craig Russell © Michael Moorcock & Multiverse Inc

Ainsi, le second Graphic Novel de Marvel est une adaptation du Elric de Michael Moorcock et, pour surprenant que soit ce choix au premier abord, il apparaît quand même assez logique et finalement alléchant pour les lecteurs du premier ouvrage de la collection.

En effet, les aventures de prince de Melniboné eurent une influence certaine sur un certain nombre de créateurs américains et ses thèmes furent bien vite digérés dans le monde des comics par plusieurs auteurs, au premier rang desquels on trouve Roy Thomas (« scénariste » de cette adaptation) ou Jim Starlin.
De plus, cet album n’est pas réellement une production Marvel, d’ailleurs Milgrom est singulièrement absent des crédits.

En fait, il s’agit de la reprise d’un feuilleton paru durant les seventies dans le magazine Star*Reach et dont Jim Starlin fut l’un des créateurs (du mag).
Star*Reach fut, avant Heavy Metal, l’un de ces premiers ponts tendus entre comics underground et mainstream ou, comme l’appelait son créateur Mike Friedrich, une tentative de comic book « ground level ».
Le magazine vit le jour en 1974 et permit à un certain nombre de créateurs de s’exprimer hors du cadre contraignant de Marvel ou DC avant de s’éteindre en 1979.
Au milieu de récits produits par, entre autres Barry Windsor Smith, Howard Chaykin, Jim Starlin ou bien Walt Simonson, on trouva donc ce feuilleton consacré aux aventure du héros albinos de Moorcock et qui resta inachevé à cause de la lenteur maniaque du dessinateur, P. Craig Russell.

Quelques temps plus tard, une bonne partie de l’équipe S*R étant revenu dans le giron de Marvel, et plus particulièrement du label Epic, on offrit aux deux auteurs d’enfin publier cette adaptation dans sa version intégrale.
Il est même tout à fait possible que cette histoire devait être publiée à l’origine sous le label Epic mais n’y trouva pas, pour une raison ou une autre, sa place puisque le magazine Epic Illustrated republia le segment paru précédemment.
En attendant, on se retrouve avec un excellent Marvel Graphic Novel qui ne fut publié qu’une seule fois en France par Aredit, il y a de cela bien longtemps.

Moorcock

L’oeuvre de Moorcock est, à l’instar de celle de JRR Tolkien ou de Robert Howard, devenue l’un des piliers de la Fantasy et les aventures du prince albinos constituent probablement la partie la plus populaire de cette œuvre.
Je ne vais pas m’attarder beaucoup sur Michael Moorcock et son œuvre en général car ce n’est pas ici le propos, et je suis sûr que d’autres fans de l’auteur britannique pourraient en parler mieux que moi.
Toujours est-il que les thèmes, l’univers et les personnages de Moorcock trouvèrent très vite écho chez beaucoup d’auteurs de part le monde qui trouvèrent dans cette œuvre matière à inspiration.
On peut citer entre autres Starlin donc, mais aussi Alan Moore, Grant Morrison, Bryan Talbot, Moebius, Caza, Philippe Druillet… ou encore P. Craig Russell et Roy Thomas puisque c’est d’eux que l’on parle aujourd’hui.

Thomas « adapte » ici la première nouvelle ayant mis en scène Elric de Melniboné, The Dreaming City, et qui constitue une rupture et un renouvellement dans le genre de la Fantasy (ou Sword and Sorcery ou comme vous voulez l’appeler).
Rejetant farouchement l’héritage de Tolkien, prenant le contrepied total d’Howard (Moorcock hait Tolkien et adule Howard) et se plaçant sous l’influence de Brecht (de l’aveu même de l’auteur), Michael Moorcock crée un héros proprement fascinant.

Albinos, souffreteux, noble, malingre, décadent, drogué, traître et héros, oscillant en permanence entre Eros et Thanatos, guidé autant par ses passions que par ses faiblesses, entretenant une relation d’amour-haine avec l’épée qui lui donne ses forces, Elric est un être tiraillé de pulsions contradictoires qui tranche avec le monolithique Conan et qui rejoint les grandes figures tragiques de la littérature.
Derrière tout cela, on y voit aussi le symbole d’une époque qui change et le rapport conflictuel qu’entretient l’auteur avec son pays qui imprègne toute son œuvre.

The Dreaming City trouve alors un écho particulier dans une jeunesse anglaise assistant alors aux derniers soubresauts de la lente chute l’Empire britannique et choisissant de tirer un trait définitif voire de précipiter la chute de ce monde en voie d’extinction pour embrasser la vénéneuse contre-culture de son ex-colonie.
Cette même contre-culture qui trouvera aussi un écho dans ses romans lorsque le conflit vietnamien viendra marquer la fin du Rêve Américain (sans compter toutes les références directes à la drogue qui ne purent que passionner une génération alors en plein dans les expériences lysergiques).

C’est donc à Roy Thomas que l’on doit l’introduction d’Elric dans la bande-dessinée américaine.

Thomas.jpg

Barry Windsor Smith et lui firent apparaître le prince de Melniboné une première fois dans leurs Conan en en livrant une version très… contestable (pour être gentil).
Conscients de cet état de fait, les deux auteurs reviendront (séparément) à de nombreuses reprises sur l’univers de Moorcock pour effacer ce péché originel, en particulier Thomas qui effectue ici son premier travail entièrement consacré à Elric avec cette « adaptation » de la première nouvelle de Moorcock.

J’avoue que Thomas est un auteur pour lequel j’ai des sentiments au moins aussi ambigus que ceux que j’ai pour Bendis tant son héritage est problématique.
Si l’on peut trouver intéressant son travail pour donner une plus grande cohérence aux univers Marvel et DC, le remercier d’avoir réussi à rattacher les comics à leurs racines pulps grâce à la réintroduction de figures du Golden Age et d’avoir fait connaître à toute une génération les grands classiques du Pulp (au premier rang, l’oeuvre d’Howard), Thomas est aussi le premier de ces fanboys passés professionnels.

Ainsi, en bonne « encyclopédie sur pattes » qu’il est, son obsession pour une continuité de faits contribua à (long) terme à alourdir et enfermer les deux grands univers comics dans un cadre très rigide, tout en leur faisant perdre un certain sens de l’auto-dérision très pop qu’on trouvait auparavant.
Ses adaptations des romans populaires, pour très agréables qu’ils soient, transpirent aussi parfois ce respect de fan avec le doigt sur la couture de pantalon comme si Thomas souhaitait se cacher dans l’ombre protectrice des œuvres qu’il vénèrent ou réaliser ses rêves humides d’ancien lecteur sans faire preuve de réel travail « d’adaptation ».

John Buscema déclara en interview comment il reçut plusieurs fois des pages directement arrachées des romans de Conan comme scripts.
Ainsi, ne faisant pas toujours preuve d’un réel travail de transposition du roman vers la bande-dessinée, les comics de Thomas peuvent s’avérer parfois assez lourds à lire (un peu comme du Claremont des mauvais jours).

Ce Dreaming City entre un peu dans cette catégorie vu les pavés de textes parfois inutiles qu’inflige Thomas et qui encombrent un peu les pages comme si le scénariste ne faisait pas confiance au pouvoir du dessin. Néanmoins, la qualité d’écriture de Moorcock est assez forte pour faire passer le tout et nous faire replonger une fois de plus avec délectation dans l’univers du prince déchu.

Non, le véritable intérêt de ce Graphic Novel c’est P. Craig Russell.

P_Craig_Russell

Ayant fait ses classes chez Marvel sur certaines des séries les moins super-héroïques de l’éditeur (Morbius, Killraven, Dr Strange… ) avec un dessin condensant les influences conjuguées de Steve Ditko, Jim Steranko et surtout Windsor Smith, P. Craig Russell quitte bien vite le monde des éditeurs mainstream où il ne reviendra que très rarement et principalement pour des travaux d’encrage.

Faisant partie de ces artistes pour lesquels n’existent aucune frontière entre culture classique et culture populaire, il participe entre autres aux expériences Star*Reach et Epic dans lesquels il laisse éclater son goût pour la science-fiction, le fantastique, le féérique, la littérature « classique » (sa très jolie histoire sur le suicide de Mishima, entre autres choses) et surtout son amour pour l’opéra, réussissant le tour de force de rendre passionnantes les adaptations d’oeuvres tels que Parsifal ou Siegfried pour des gens qui pourraient prendre leurs jambes à leur cou à la simple mention de noms tels que Richard Wagner ou Richard Strauss, leur montrant ainsi toute la puissance, la magie et le caractère intemporel de ces œuvres.
Bref, Russell est un artiste qui brise les frontières et il s’applique à cela aussi dans son dessin qui est alors en pleine mutation et se révèle dans toute sa beauté tel un papillon surgissant de sa chrysalide.

Elric
© Roy Thomas & P. Craig Russell © Michael Moorcock & Multiverse Inc

Creusant de plus en plus les influences des artistes qui l’ont lui-même inspiré, il remonte aux sources et mêle à ses influences comics des inspirations venant du manga, de peintres japonais, de la Renaissance italienne et des préraphaélites (ce qui n’est pas nécessairement contradictoire), des peintres symbolistes, des illustrations naïves du Dr Seuss et surtout de Walt Disney et des influences derrière ce dessin animé qui l’obsède depuis sa plus tendre enfance, La Belle au Bois dormant (ce qui est une preuve de bon goût).

Si le graphisme développé par Russell ne fera pas vraiment école parmi les dessinateurs américains à l’exception de quelques grands noms (un peu le Paul Smith de Dr Strange, un peu Michael Golden et beaucoup le Mike Mignola pré-Hellboy qui eut certains de ses meilleurs travaux encrés par le maître), il reste néanmoins l’un des plus beaux jamais proposé dans les comic books.
Et tout ce talent éclate dans cette adaptation d’Elric qui devient le premier succès à grande échelle de ce dessinateur malheureusement trop peu traduit en France.
L’univers fantastique d’Elric, le caractère tragique du héros, la décadence raffinée des Melnibonéens, tout ce crépuscule apocalyptique wagnérien… tout cela ne pouvait que plaire à Russell qui s’applique à sublimer le récit dans une succession de pages au graphisme débridé et sublime.

Le trait de Russell réussit cet exploit de représenter ses personnages et ses décors tour à tour sous leur apparences les plus réalistes, expressionnistes et symboliques d’une manière tellement naturelle qu’elle fait songer à la nature mouvante des songes.
Les personnages semblent flotter puis se fondre dans des décors eux-mêmes vecteurs/représentations d’émotions dans une fluidité tellement parfaite qu’elle fait comprendre à elle seule la lenteur méticuleuse du dessinateur.
Le personnage et le monde d’Elric passionnent tellement P. Craig Russell, qu’il reviendra dessus plusieurs fois tout au long de sa carrière.

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© Roy Thomas & P. Craig Russell © Michael Moorcock & Multiverse Inc

Rien que pour les dessins, cet album vaut l’achat tellement il justifie à lui seul l’appellation GRAPHIC novel.
Une très belle réussite qui doit tout à son dessinateur et à l’inspiration qu’il trouva dans la puissance de la nouvelle de Moorcock et qui fut publiée il y a bien longtemps en France par Arédit/Artima.

Et comme dans un mouvement de la Balance Cosmique, alors que Russell part prolonger l’expérience Elric sous le label Epic, le tome suivant de la collection Marvel Graphic Novel sera une fois de plus l’oeuvre de Jim Starlin qui y ramène son Dreadstar précédemment publié dans Epic Illustrated.

Melniboné
© Roy Thomas & P. Craig Russell © Michael Moorcock & Multiverse Inc

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