
Comme tout scénariste débutant, Peter David ne peut imposer un dessinateur de son choix et doit faire des concessions à son editor.
Du coup, il doit composer avec un petit jeunot aux dents longues qui vient d’arriver sur le titre peu auparavant : Todd McFarlane.
En travaillant avec le transfuge de DC, David ne se doute pas que les étoiles sont avec lui et que le graphisme pour le moins singulier du canadien va l’aider à attirer les feux de la rampe sur leur série au moins autant que ses textes.
Pourtant, tout cela est bien peu visible lors de leurs premiers épisodes tant l’un comme l’autre semblent se faire la main et se découvrir.
Par conséquent, on peut décomposer cette première collaboration en deux périodes, deux mouvements, qui vont néanmoins se chevaucher.
Comme il l’a déclaré dans l’introduction au premier volume des Visionaries consacrés à son run, Peter David n’a pas de plans pour la série lorsqu’il en reprend l’écriture.
Tout au plus à-t-il comme consigne de faire le ménage dans le bazar laissé par ses prédécesseurs et de redonner une stabilité et une direction aux aventures de Hulk.
Il faut dire que le lectorat réclame à cors et à cris le retour à la formule classique d’un Banner/Hulk vert traversant les Etats-Unis afin d’échapper à l’armée.
David va leur donner satisfaction… en partie, au travers d’une succession d’épisodes qui vont certes remettre Hulk sur les rails mais sur une voie parallèle.
Il va ainsi renouveler une formule qui a fait ses preuves, lui donnant du coup une certaine fraîcheur mêlant habilement classicisme et inédit.
Mais nous n’en sommes pas encore là puisque PAD doit d’abord conclure la dernière saga entamée par Milgrom.
Il commence donc par sagement ranger les jouets tout en jetant quelques idées aux hasard des pages afin de voir lesquelles pourront enflammer son imagination.
Il agit un peu à la manière d’un enfant posant les premières pièces d’un puzzle inconnu afin de voir quelle première image se dégage (tactique qu’il reprendra souvent).
Pareillement, il va tester divers outils afin d’affiner son écriture et de trouver sa « voix ».

Le diptyque ouvrant son run (épisodes 331-332) est comparable aux premiers épisodes de Roger Stern sur Avengers.
David arrive en plein milieu d’une histoire qui commençait à salement s’éterniser et la résoud rapidement tout en donnant cohérence aux errements passés en commençant à en dégager les éléments les plus encombrants.
A ce moment là, le général Ross vient juste de décéder et le couple Banner, l’agent du SHIELD Clay Quartermain et leur Hulkbusters sont à la poursuite d’un Rick Jones transformé en Hulk.
David en profite tout d’abord pour remettre de la zizanie entre les Banner.
Il faut dire que le mariage était arrivé comme un cheveu sur la soupe et avait été traité par dessus la jambe par Byrne.
Il en profite ainsi pour réinstaurer Bruce Banner dans sa figure du scientifique refoulé tandis que Betty redevient une femme insatisfaite, première étape d’une évolution qui en feront l’un des personnages féminins les plus sympathiques et touchants de la décennie à venir.
De plus, le scénariste accentue un trait du héros qui posait déjà problème sous Byrne et Milgrom, à savoir son obsession pour Hulk alors qu’il était enfin parvenu à s’en libérer.
Si ce procédé fait grincer des dents au début en nous présentant un Banner plus agressif qu’à l’accoutumé, David donnera une explication parfaitement logique à cela quelques épisodes plus tard.
PAD met bien vite deux Hulkbusters sur la touche et introduit un mystérieux personnage qui s’avèrera être le Leader.
Ce dernier vient de perdre ses pouvoirs et est prêt à tout pour les récupérer devenant ainsi le moteur permettant de remettre de l’ordre dans la maison puisqu’à la fin de ce mini-arc, Rick Jones et redevenu normal, Banner est à nouveau le seul Hulk et le Leader a retrouvé son intelligence démoniaque même si David décide de faire croire à la mort de celui-ci vu qu’il ne sait pas encore trop où il va.
L’auteur vient ainsi de montrer sa maîtrise de la continuité et de sa capacité à en rattraper les incohérences.
Le prix à payer c’est que ces deux épisodes sont aussi verbeux que cet article tant il y a besoin d’expliciter les choses.

Le véritable Peter David pointe son nez dès l’épisode suivant (333).
Il en profite tout d’abord pour affirmer le nouveau statu-quo de la dualité Banner/Hulk en replongeant directement la série dans ses racines à la Jekyll et Hyde teintées cette fois-ci de lycanthropie.
Ainsi si Banner profite de ses journées, Hulk surgit la nuit. A la nuance près que l’effet des rayons du soleil sur la lune ont désormais un effet sur la personnalité de chacun.
Les phases de la lune permettent ainsi Banner d’influencer Hulk (avec un maximum à la pleine lune) et vis versa, Hulk étant à son plus malfaisant lors de la nouvelle lune.
Car Hulk est désormais beaucoup plus méchant qu’auparavant, David utilisant la dualité jour/nuit pour faire du géant gris la part d’ombre de Banner.
Il en ressort un nouveau personnage beaucoup plus noir, moins fort certes mais plus vicieux, violent et égoïste avec une tendance à l’humour noir qui s’accorde parfaitement avec l’humeur grim n’ gritty de l’époque même si PAD a trop de talent pour tomber complètement dans ce travers.
Cela permet aussi de rendre plus logique la haine des deux « héros » l’un envers l’autre, chacun luttant contre l’autre pour le contrôle de ce corps qu’ils partagent.
Surtout, cette façon de lier ces deux facettes antagonistes va permettre au scénariste de creuser de plus en plus profondément dans la psyché tourmentée du bon docteur Banner.
Clairement, Banner/Hulk apparaît plus que jamais comme un esprit brisé, en lutte avec lui-même, David entamant ainsi un long travail de reconstruction psychologique qui ne trouvera sa résolution (temporaire) que bien des épisodes plus tard.
L’écriture de Peter David, bien qu’encore maladroite, commence pourtant à déjà se trouver avec une histoire typique de l’auteur.
Une petite fable humaniste sans super-vilain à la résolution ambigüe où Hulk croise la route d’une femme battue par son mari.
Le scénariste aborde ici un sujet de société douloureux comme il le fera souvent tout au long de son run.
Sauf que loin d’être des parenthèses moralistes gratuites, il sait aussi utiliser ce genre d’histoires pour faire avancer ses personnages puisqu’il s’en sert ici comme d’un jeu de miroir du couple Banner.
Car qu’est-ce qui peut bien pousser Betty Banner à rester avec ce mari qui la terrorise, le rêve ayant laissé place au drame depuis trop longtemps ?
Betty elle-même ne le sait pas et décide de partir avec son ex, Ramon, sorte de gigolo caricatural créé par Byrne.

David continue ensuite sa redéfinition de Betty (ép. 334).
Le lecteur découvre ainsi que la belle a autrefois posé pour des calendriers érotiques (trouvaille qui n’ira pas loin et sera mieux utilisée plus tard avec le passé coquin de Marlo Chandler).
Surtout, David organise une confrontation entre Bruce, Ramon et Betty qui permet à cette dernière de mettre les choses au point avec son époux.
En effet, elle rêve d’un mari qui laisserait s’exprimer ses émotions et pas que sa rationalité.
Un homme qui lui offrirait des joies, des peines, des engueulades, des moments passionnés autrement que par le biais d’un reflet déformé.
Bruce décide pour une fois de fendre l’armure et de s’offrir une heure d’amour torride avec sa femme dans une chambre de motel.
Sauf que les tourtereaux en paient le prix fort puisque Bruce se métamorphose en pleine étreinte laissant Betty dans un état critique et lui-même traumatisé par l’expérience.
Le docteur Banner est-il donc condamné à vivre éternellement une demi-vie ?
En tout cas, il croise la route d’un nouveau reflet de lui-même au-travers de Half-Life, version zombiesque de l’irradié Gamma obligé d’absorber la vie des autres pour survivre et rêvant de retrouver sa vie d’humble professeur.
Avec Half-Life, David se trouve soudain l’idée qui va lui permettre de donner une véritable direction à sa série et qui va articuler la seconde partie de l’ère Mc Farlane.
L’idée qui va lui permettre aussi d’expliquer certains plots plantés un peu au hasard comme la disparition du cadavre du général Ross, la nouvelle version du Leader et le mystérieux commanditaire d’Half-Life.
Détail amusant à noter, PAD ne maîtrise pour l’instant pas encore le personnage de Rick Jones auquel il semble pourtant attaché mais qu’il n’arrive pas à faire sortir de son image de gai pinson un peu boulet sur les bords.

Histoire de bien construire son plan, l’auteur décide de temporiser avec un fill-in (ép. 335) où Hulk croise la route d’un serial killer qui pense trouver une âme sœur dans le géant gris.
Il livre une fois de plus une petite fable sociale en abordant l’influence soi-disant néfaste des films d’horreurs sur la jeunesse.
Le versant horrifique et le suspense de l’histoire sont très bien troussés grâce au portrait d’un Hulk à l’ambiguïté inquiétante au possible et dont on se demande jusqu’aux dernières pages s’il va se rallier au tueur ou bien l’arrêter.

Le diptyque suivant (ép. 336-337) se distingue car il termine tout à la fois le ménage de la série, le début de la grande saga qui sera l’objet du prochain post et accueille X-Factor en guest-stars.
Harras étant alors l’editor des deux séries, il impose à David de faire apparaître les populaires pseudo-chasseurs de mutants afin d’attirer l’attention sur les aventures du géant vert.
David ne semble pas très motivé par cette idée mais s’exécute quand même en se faisant rencontrer les héros de manière un peu téléphonée.
Il réussit quand même à faire entrer les mutants en résonance avec sa galerie de personnages, chaque protagoniste se demandant jusqu’à quel point il est prêt à sacrifier ses principes pour accomplir sa mission.
L’agent du Shield Clay Quatermain tuera-t-il Hulk comme ses patrons le lui demande ?
Les Hulbusters pourront-ils trahir Banner leur ancien chef ?
X-Factor continueront-ils à entretenir l’animosité anti-mutants par leur couverture de chasseurs de mutants ?
Bruce sacrifiera-t-il son couple à sa nouvelle quête ?
Betty restera-t-elle avec son mari comme les liens du mariage le demande ?
Et cet anonyme alors ? Dénoncera-t-il ce pauvre vagabond pour obtenir assez d’argent pour nourrir sa famille ?
Bref, chaque personnage (sauf Jones) est à un tournant et pour une fois les choses ne seront vraiment plus jamais comme avant.
Au terme de cette peignée générale où Hulk affronte X-Factor avant de s’allier à eux contre le Shield, Peter David a définitivement fait place nette.
Exit Doc Samson ! Exit les Hulkbusters aussi ! Détruite la base Gamma ! Betty ? Elle se casse avec Ramon !
Ne reste que le trio Bruce-Jones-Quartermain qui part sur les routes avec le Shield à leurs trousses afin de…. naaan, ça se sera pour la prochaine fois.
Notons qu’au passage Peter David continue d’affiner son écriture.
Ainsi, il arrive à donner vie et consistance à des personnages et ce même en peu de lignes comme pour cet anonyme ayant recueilli Bruce et qui n’apparaît que dans quelques cases.
Il commence à timidement montrer des pointes de son humour si particulier, de son talent pour les jeux de mots et de références à la pop culture.
Il se met aussi à effectuer des figures de styles qui réussissent à introduire une touche de poésie douce-amère comme la répétition de cette case sur la lettre que Betty laisse à Bruce et qu’une infirmière jettera à la poubelle.
En tous cas, une page est définitivement tournée.

Et Todd Mc Farlane alors ?
Et bien, lui aussi il fait ses classes et aura besoin d’un certain temps avant de se trouver définitivement dans la seconde partie de son run.
Ainsi, son premier épisode avec David est très…. passe partout, commun, oubliable.
Sa version de Hulk n’est pas imposante pour un sou et si l’on trouve quelques légères traces de John Byrne (qu’il n’hésite pas à « swiper » par moments), rien ne le distingue de la masse des dessinateurs débutants.
Le second épisode commence à laisser poindre une personnalité au travers de quelques gros plans (la transformation du Leader).
Mais c’est avec les numéros 333-334 que son graphisme se trouve en commençant à aller piocher progressivement chez Mike Mignola, Arthur Adams (ces sourires), et surtout Michael Golden.
Trois influences qu’il partage avec ses futurs camarades d’Image.
Ainsi, au fil de ces épisodes les physiques s’arrondissent, les cases deviennent plus dynamiques et le canadien laisse progressivement éclater son amour pour le cartoony, le grotesque, la violence et l’horreur.
Malin, Peter David prendra acte de ces caractéristiques pour en nourrir ses scénarios.
Mc Farlane s’émancipe progressivement et donne un look de plus en plus unique à la série en modifiant, affinant, repensant le design de celle-ci à chaque nouvel épisode.
Si le résultat reste imparfait et montre bien vite ces limites (les personnages poupées gonflables, les ombres chinoises et les grandes cases sur un détail lorsque le dessinateur est pressé par le temps), il est clair que la série commence à se trouver une personnalité graphique marchant main dans la main avec celle scénaristique.
L’épisode fill-in est dessiné par un John Ridgway parfaitement à son aise, le dessinateur d’Hellblazer excellant pour de ce qui est de donner une atmosphère d’horreur gothique.
Lorsque Mc Farlane revient, il est presque à son plus haut pic de qualité, sommet qu’il ne réussira plus guère à dépasser ensuite.

Malgré tout, la partie graphique pêche un peu de par le turn over presque incessant à l’encrage, la plupart des encreurs ne sachant pas trop comment aborder le graphisme particulier d’un McFarlane qui rêve de s’encrer lui même mais qui est alors trop lent pour le faire.
Ainsi, l’encrage de Kim DeMulder recouvre fortement les dessins afin d’en corriger les défauts (331), celui de Fred Fredericks donne un aspect totalement Byrne (332) tandis que celui de Pablo Marcos respecte le style du dessinateur mais tend à le lisser un peu trop (333)
Jim Sanders III arrive au numéro 334 et s’occupera des 336-337 (et de quelques numéros suivants).
Son style semble finalement enfin servir McFarlane en s’inscrivant dans la lignée d’un Terry Austin.
Ce nouvel encrage faisant la part belle à une profusion de petits traits fins renforce la parenté avec les pages de Byrne (le rendu de Cyclope surtout) et d’Adams même s’il continue à corriger des exagérations anatomiques voulues par le dessinateur.
Reste qu’à la fin de cette période, le jeune artiste à enfin réussi à faire Hulk sien en le remodelant pour en donner une version inédite sur laquelle nous reviendrons dans le prochain article.
