DC Extravaganza, Graphic Nuggets, Living at the Edge of the Worlds

Batman : Holy Terror (Alan Brennert / Norm Breyfogle)

Batholyterror
© DC Comics

Avec cet officiellement premier Elseworld, à l’époque annoncé de manière tapageuse par DC mais depuis tombé dans un certain oubli non mérité, nous avons l’occasion de rendre ici hommage au récemment disparu Norm Breyfogle.

Norm_Breyfogle.jpg

Norman Keith Breyfogle est né en Iowa le 27 février 1960 et après une enfance sereine décida à l’orée de son adolescence de prendre des cours particuliers de dessin.
Comme bien des artistes aspirants, il publia ses premiers mini-comics au sein de son lycée et attira l’attention des gazettes locales.
Il fit même une première apparition chez DC en voyant un de ses dessins de Robin publié dans le courrier des lecteurs de Batman Family, signe précurseur s’il en est.

Sorti diplômé d’une école d’art, il débuta en produisant diverses illustrations pour des magazines locaux avant d’émigrer en Californie au début des années 80.
Là-bas, il eut l’occasion de mettre à profit sa connaissance de la narration en illustrant un manuel d’entraînement au pilotage des navettes spatiales pour un sous-traitant de la NASA.
Si il fait une première apparition chez DC au travers d’une histoire de six pages pour l’anthologie Showcase, c’est tout d’abord au sein du florissant marché des indépendants que Breyfogle fait son trou.

En effet, lors de l’édition 1985 de San Diego, il rencontre l’ancien editor de Star*Reach, l’un des premiers magazines indépendants publié dans les années 70.
Impressionné par le portfolio du jeunot et possédant un carnet d’adresses fourni, Mike Friedrich va jouer de ses relations pour aider Breyfogle à trouver du travail.
Ce dernier décroche ainsi son premier engagement régulier chez First Comics en 1985 en illustrant la back-up déjantée de l’American Flagg d’Howard Chaykin, Bob Violence, ce qui l’ui donne l’occasion de s’éclater dans un monde de cartoon trash.

Après cet essai réussi, l’éditeur lui confie le dessin d’une nouvelle série régulière, Whisper.
Sorte de ninja-erie typiques des 80s de Frank Miller et de la Cannon, la série réussit quand même à vivoter pendant trois bonnes années.
Parallèlement, Norm illustre de temps en temps des récits d’horreur pour l’anthologie Tales of Terror d’Eclipse Comics ainsi qu’une histoire de Captain America pour le magazine Marvel Fanfare qu’il produit de A à Z, du scénario au lettrage.

BatBreyfogle
© DC Comics

Mais le grand tournant de sa carrière c’est bien évidemment l’année 1987 qui le voit prendre en main la destinée graphique de Batman pour une prestation qui durera 7 ans.
Suite à la relance effectuée par Crisis et à la rénovation de la chauve-souris effectuée par Frank Miller, DC souhaite miser sur du sang neuf et recrute donc ce nouveau venu au graphisme attractif ainsi qu’un de ces nouveaux scénaristes britanniques qui sont alors en train d’apporter du sang neuf à la BD américaine, Alan Grant.

La paire Grant-Breyfogle produisit pendant 7 ans un run conséquent et populaire bien que depuis partiellement oublié depuis mais néanmoins à redécouvrir tant il est de qualité.
Les deux hommes débutent ainsi sur Detective Comics avant d’émigrer vers Batman puis de se voir attribuer un tout nouveau mensuel rien que pour eux en 1992, Shadow of the Bat, sur le modèle de ce que Marvel avait fait avec les Image Boys, c’est dire l’importance de ce duo.

Et, en effet, ils rafraîchissent l’univers de Batman en introduisant plusieurs personnages qui se sont depuis fait un jolie place sous le ciel nuageux de Gotham : Szasz, Amygdala, le docteur Jeremiah Arkham, Anarky (pensé au départ par Grant pour devenir à terme le 3ème Robin) et surtout le Ventriloque et sa marionnette Scarface.

Nulle surprise donc à ce que DC confie ce premier Elseworld à celui qui est alors le dessinateur star de la chauve-souris.
C’est à la fois un gage de succès pour la compagnie et une récompense pour l’artiste.
Plus surprenant est le choix du scénariste même s’il n’est pas un inconnu pour les editors de DC Comics.

Alan_Brennert.jpg

Alan Michael Brennert est né le 30 mai 1954 dans le New Jersey.
Passionné par l’écriture le cinéma, il part au début des années 70 étudier l’art du scénario à la fameuse UCLA de la capitale californienne.
Diplômé en 1973, il réussit à publier son premier roman City of Masques qui lui permet de décrocher début 75 l’Award du meilleur nouveau scénariste de science-fiction.
Cette même année 75, il effectue ses premiers pas dans le monde des comics de manière détournée puisqu’il anime des interviews de grands auteurs de SF au sein du magazine en noir et blanc publié par Marvel, Unknown Worlds of Science-fiction.

Mais c’est l’année 1977 qui voit sa carrière prendre un premier véritable essor avec une performance cross-média, comme on dit de nos jours, puisqu’il scénarise quelques numéros de Wonder Woman pour DC… tout en écrivant les scripts de la fameuse série télévisée avec Lynda Carter dans le rôle titre.

C’est d’ailleurs à la télévision qu’il effectuera dorénavant l’essentiel de sa carrière.
Il devient ainsi successivement le scénariste de Buck Rogers, Au delà du Réel et La Cinquième Dimension avant de connaître la consécration au travers de la série judiciaire qu’il écrit et produit, La Loi de Los Angeles.

Parallèlement à cela, et malgré un agenda chargé, il continue à produire des comics quand il le peut et ce quasi-exclusivement pour DC (tout au plus peut-on noter le Daredevil 192 pour Marvel, premier épisode de la série après le départ de Miller).
Sa seconde performance dans le domaine est toujours liée à l’univers de la télévision puisqu’il fournit un scénario pour l’adaptation dessinée de Star Trek.

Le même mois, il décroche aussi l’insigne honneur d’écrire le segment principal du Batman 500 et qui constitue pour les fans et la critique l’une des meilleures histoires de la chauve-souris.
Son attachement pour le chevalier noir est certain puisqu’il animera quelques temps plus tard ses aventures en duo au sein du magazine Brave & the Bold pour un court run.

Ses prestations se font ensuite plus rares encore avec seulement un petit conte de Noël mettant en scène Deadman et un Secret Origins consacré à Black Canary.
Ce n’est donc qu’en 1991, année où sa Loi de Los Angeles se trouve couronnée par les Emmy Awards, qu’il effectue un retour au premier plan dans l’univers des comics avec ce Elseworld qui rue dans les brancards.

Oliver_Cromwell_by_Samuel_Cooper

« Dans cet univers, le général anglais Oliver Cromwell a survécu à la malaria et a réussi à imposer le Puritanisme au sein d’un Commonwealth étendu.
Au 20ème siècle, dans la colonie américaine, l’orphelin Bruce Wayne s’apprête à être ordonné prêtre mais une révélation concernant le meurtre de ses parents va le pousser à la vengeance et mettre à mal sa foi en Dieu et dans ce régime théocratique. »

Etant donné qu’elle ne fait pas partie de la culture française, et en essayant de ne pas faire un long et compliqué cours d’Histoire, il convient de resituer un peu la figure d’Oliver Cromwell vu qu’elle constitue le socle de ce Elseworld.
Général et homme politique anglais du XVIIème siècle, Cromwell reste l’une des figures les plus importantes et les plus controversées du monde anglo-saxon.

Emergeant durant le contexte troublé des guerres civiles et religieuses de l’Angleterre, fervent adepte d’un régime républicain, il fut le régicide du roi Charles Ier et instaura un premier Commonwealth (l’équivalent de notre République) qui donnait le pouvoir aux parlementaires et constitua une étape importante dans le passage d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle chez nos voisins d’Outre-Manche.
Il décèdera peu après de la malaria avant que les monarchistes reviennent au pouvoir

Parallèlement à cela, il se distingua par sa cruauté lors de la conquête de l’Irlande où il alla aux limites du génocide envers les catholiques irlandais, plantant ainsi les graines des tensions anglo-irlandaises qui persistent de nos jours.
En effet, Cromwell fut l’un des premiers adhérents aux Puritanisme et est depuis devenu l’une de ses figures tutélaires.
Considérant que la Réforme protestante n’est pas achevée, il souhaita aller encore plus loin et fit preuve d’une intolérance religieuse quasi-absolutiste.

Cependant, aux Etats-Unis, Cromwell est souvent vu comme une figure bénéfique puisqu’ayant défendu les puritains réfugiés dans les 13 colonies américaines (le courant des Quakers dérive d’ailleurs du puritanisme cromwellien).
Ainsi Cromwell devint la grande inspiration des révolutionnaires américains et son héritage continue d’infuser la vie politique et spirituelle des Etats-Unis.

Pourquoi ce détour historique ?
Et bien tout simplement parce que la dystopie écrite par Alan Brennert est une immense charge contre le Puritanisme ; un énorme coup de poing qu’on aurait bien du mal à l’imaginer être publié de nos jours.

Holy
© DC Comics

Evacuons tout de suite le défaut principal de ce Holy Terror. Ce récit est dense, très dense… bavard même.
Ainsi, les 50 pages débordent de texte tant Brennert tient à nous donner tous les détails de son histoire, de son contexte, du parcours de son héros, de la psyché de ses personnages, des clins d’oeil qu’il effectue à la réalité où à l’univers DC classique…
Si le récit est assez intéressant et fort pour ne pas devenir indigeste face à cette profusion, on se dit quand même qu’il aurait gagné à être un peu plus aéré, au sein d’une mini-série par exemple.

De même, si les multiples références cachées à des personnages DC sont agréables, elles portent en germe ce qui deviendra un défaut de certains futurs Elseworlds, à savoir passer plus de temps à présenter des versions décalées des icônes plutôt qu’à développer une histoire, un parcours.
Heureusement, il n’en est rien ici et l’on appréciera avec délectation la manière dont sont utilisés certains personnages.
Il en est ainsi de la JSA présentée comme la première génération de résistants étouffée par ce régime théocratique, de la sorcière Zatanna en inquisitrice fanatique qui confirme que l’adage voulant que les nouveaux convertis sont souvent les plus extrémistes, du Moissoneur (le vilain de Batman Year 2) en cardinal qui ordonne Bruce Wayne en prêtre et surtout de Superman dans une séquence poignante qui rappelle tout le caractère christique du personnage.

Et la religion est justement au centre de cette histoire qui nous présente peut-être l’une des versions de Batman les plus originales jamais vues.
En effet, Bruce Wayne s’est ici détourné du chemin de la violence et a trouvé la paix dans la foi. Un foi qui se retrouve soudainement durement mise à l’épreuve suite à la révélation des motifs derrière l’assassinat de ses parents et qui le poussera à nouveau vers la vengeance.
Sauf que le Batman ne considère pas sa mission comme un sacerdoce mais comme un fardeau qui va à l’encontre de ses convictions les plus profondes et son parcours sera autant une recherche de la vérité qu’une quête de la rédemption.

Bioshock Infinite
© 2K Games & © Irrational Games

Autant le dire, Brennert n’y va pas avec le dos de la cuiller dans son attaque contre le puritanisme et les dérives de la religion, ou plutôt des institutions religieuses, et l’utopie dévoyée qu’il met en scène ici pourra rappeler au lecteur moderne celle que l’on trouve dans le jeu vidéo Bioshock Infinite.
Néanmoins, s’il condamne sans appel l’intolérance et l’institution religieuse, l’auteur ne jette pas le bébé avec l’eau du bain et questionne néanmoins le besoin de la foi et la manière appropriée de l’entretenir.

Toute l’évolution de Bruce Wayne ici se résume à cette question et l’auteur réaffirme le caractère salvateur, apaisant, compassionnel et pourtant force de volonté de celle-ci mais aussi sa composante personnelle et respectueuse de celle des autres.
L’aventure de Wayne tiendra d’ailleurs plus ou moins du martyr avant qu’il connaisse la transfiguration lors de sa « rencontre » avec Superman qui lui permettra de résoudre sa dualité et le positionne à la fin dans un statut à mi-chemin entre le Daredevil de Frank Miller et le V d’Alan Moore.

Si le héros garde toute sa foi il n’en rejette pas moins l’institution, comprenant que c’est l’humain et non le divin qui dévoie celle-ci et ayant finalement compris l’importance du parcours personnel dans la découverte de celle-ci ; ce qui reste par essence les fondamentaux du Christianisme.
C’est donc à la naissance d’un Batman émergeant des ténèbres pour se tourner vers la lumière à laquelle nous assistons ici, ce qui constitue un contrepied éminemment risqué mais que Brennert réussit à mener de main de maître.

Zataterror
© DC Comics

Norm Breyfogle fait montre pour sa part de ses défauts et qualités habituels.
Ainsi, ses pages sont ultra-dynamiques, enlevées, alternant avec facilité entre « pseudo-réalisme » et expressionnisme dans son trait mais avec une tendance à surdécouper ses planches à coups de diagonales.
Cela rend par moments l’action un peu confuse et la lecture parfois étouffante, de surcroît avec les pavés de textes qui s’infiltrent partout.

De la même manière, on peut reprocher à son design du Batman de ne pas être assez marquant et plus « technoïde » que soulignant la dimension religieuse du personnage… un peu comme le Bat-Azrael de Knightfall.
Heureusement, pour le reste tout fonctionne parfaitement et l’on trouve dans la morphologie de ses personnages autant d’influences venant de Mike Zeck que de Brian Bolland.
De même ses décors sont luxuriants, bien pensés et spatialisés et retrouvent le mélange de grandiose et d’oppression qui caractérise l’architecture gothique.

Malgré cette profusion de détails, l’artiste comprend le langage de la bande-dessinée et il sait comment rendre le tout vivant et dynamique puisque son trait joue de manière très affirmée sur les courbes et les angles qui s’entrechoquent savamment et permettent à l’expressionnisme de prendre racine dans le réel.
Les rondeurs ancrent ce monde dans le tangible tandis que les brisures viennent le mettre à bas pour faire émerger l’intériorité tourmentée des protagonistes.

Un extraordinaire travail de composition donc qui trouve son acme dans la séquence de transfiguration que Wayne connaît au contact de Superman et dans l’avant-dernière case qui montre la «sanctification » du héros quittant ses atours de Batman pour se retrouver auréolé de lumière; une représentation pour ainsi dire unique de ce personnage mais qui fonctionne néanmoins parfaitement ici.

Avec ce premier Elseworld dont le pitch aurait pu les emmener vers le désastre, Alan Brennert et Norm Breyfogle s’en sortent pourtant avec élégance et livre un excellent et original one-shot tout en montrant à leurs petits camarades l’étendue des possibilités que permet cette nouvelle collection.

Holy Bat
© DC Comics

Votre commentaire

Choisissez une méthode de connexion pour poster votre commentaire:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s