
Et revoici donc notre ami Jim Starlin avec ce troisième chapitre de sa Metamorphosis Odyssey qui fit partie des conditions imposées par l’artiste en échange de sa participation à la Mort de Captain Marvel et qui servit bien les affaires d’une collection lancée un peu dans la précipitation et devant souvent faire face aux retards (ce que nous détaillerons dans le prochain post).
Penchons nous donc sur la longue et tortueuse histoire de la Metamorphosis Odyssey.
Et autant dire que cette œuvre porte bien son nom tant elle se métamorphosa à plusieurs reprises autant au niveau du fond que de la forme, évouluant au gré des envies de son auteur tout au long de sa publication hasardeuse qui la conduira jusqu’à la première moitié des années 90.
Le premier chapitre de cette odyssée de la métamorphose fut un feuilleton courant sur plusieurs numéros de la revue Epic Illustrated.
Rien d’étonnant à cela étant donné que les envies de Creator Owned de Starlin furent l’un des facteurs conduisant au développement du magazine (on en reparlera) et que ce dernier devait même, à l’origine, s’appeler Odyssey tant la série de Starlin en fut la pièce centrale.

Je ne dirais pas grand chose de ce premier chapitre vu que je compte revenir plus tard sur la vie du label Epic et qu’on peut très bien comprendre le Graphic Novel Dreadstar sans avoir lu les chapitres précédents.
Tout au plus faut-il signaler que l’histoire se place sous un triple patronnage « 2001 – les Eternels de Jack Kirby – religion égyptienne », qu’elle compte une référence à Michael Moorcock encore plus directe que dans ses Warlock et qu’elle possède une dimension auto-biographique puisque inspirée par l’expérience « vietnamienne » de Jim Starlin qui se portraiture lui-même sous les traits de Vanth Dreadstar (peu ou prou « Etoile de la Terreur »).
Et dès ce feuilleton, on assiste déjà à une première métamorphose progressive de Starlin qui commence par peindre le tout en noir et blanc avant de passer à la couleur et qui accorde petit à petit une importance croissante à Dreadstar, qui n’est ici qu’un personnage secondaire de l’histoire.
Vient ensuite le second chapitre qui prend la forme d’un premier Graphic Novel titré The Price et publié chez…. l’éditeur indépendant Eclipse Comics.
On vous avait bien dit que tout cela était dur à suivre.

Dès la première page, on débarque dans une histoire totalement différente puisqu’on ne trouve ni le même cadre ni les mêmes personnages que précédemment.
Introduisant un nouveau contexte et des thématiques au premier abord différentes, Starlin renoue ici avec certains thèmes développés dans son propre Warlock tout en allant puiser cette fois-ci son inspiration chez Corum et Deathlok.
Il s’intéresse ici plus aux thèmes des conflits de pouvoir dans les institutions religieuses ou autres, des sacrifices et de la culpabilité qui en découle qu’entraînent la quête de pouvoir et de connaissance ainsi que de l’inéluctabilité du destin; les deux derniers thèmes étant déjà présents mais sous une forme différente dans le feuilleton publié dans Epic Illustrated.
The Price conte l’histoire de Syzygy Darklock (en latin, la Syzygie désigne l’alignement de trois corps célestes), prêtre au sein de l’Eglise de l’Instrumentalité.
Cette dernière régit la moitié d’une galaxie lointaine tandis que la Monarchie régit l’autre moitié.
Ces deux pouvoirs sont engagés depuis deux siècles dans une guerre que finalement ni l’un ni l’autre ne souhaitent voir se terminer car ayant basés leurs économies respectives dessus.
Suite au meurtre de son frère, Darklock se retrouvera pris dans un jeu de manipulation à plusieurs niveaux qui changeront profondément sa nature et son physique.
Ayant accepté son destin, et fort de ses nouveaux pouvoirs, il quitte l’Eglise et s’enfuit sur une planète inconnue afin de préparer sa mission d’apporter la paix à la galaxie.
Et une fois de plus, l’on assiste à des changements externes et internes au sein même de ce Graphic Novel qui fut d’abord publié en peinture noire et blanche avant d’être republié en couleurs.
L’histoire se conclut de manière inattendue et quelque peu abrupte puisque les dernières pages content la rencontre entre Darklock et celui qui doit occuper une place maîtresse dans ses futurs plans, Vanth Dreadstar.
Et nous arrivons donc enfin à ce Marvel Graphic Novel entièrement consacré à celui qui est devenu au fur et à mesure de l’écriture l’alter-ego de son créateur.
Une fois de plus, ce nouveau projet s’avère différent des précédents tout en en faisant la synthèse et en partant sur une nouvelle route.. qui s’avérera un peu plus définitive cette fois-ci.
Starlin relie donc ici les différents points développés dans les deux histoires précédentes et relance son odyssée sur une nouvelle voie centrée autour de la figure de Dreadstar.

S’il n’apporte pas grand chose de plus à ce qu’il a dit précédemment sur le pouvoir du destin et sur les notions de sacrifices et culpabilité, il renouvelle son « allégorie vietnamienne » en l’étendant à la Guerre Froide en général (même si on est ici dans une « guerre chaude ») et en puisant dans son passé de vétéran de la guerre du Vietnam. L’auteur affirme ici sa conviction selon laquelle ce long conflit larvé entre l’Est et l’Ouest sert la puissance et est le socle de l’économie des deux blocs fusse au prix de vies humaines prises contre leur gré dans ce conflit, et de la nécessité de trouver une autre voie. Il en profite aussi pour exorciser au passage ses propres démons en revenant sur les retours difficiles des vétérans du Vietnam à la vie civile.
Sans le vouloir, ces passages convoquent un effet comique involontaire en nous rappelant certaines scènes de la série des Rambo avec un « Colonel Darklock » demandant l’aide d’un Dreadstar refusant de reprendre du service car « c’est pas sa guerre « .
D’autres séquences produisent aussi le même effet de par leurs ressemblances avec les Maitres de l’Univers ou Highlander.
Au niveau des influences et hommages, l’ami Jim nous ressort à nouveau sa fascination pour Elric au travers de la relation amour/haine qu’entretien Dreadstar avec son épée mystique douée d’une volonté propre.
Derrière cela, on voit aussi une légère adaptation d’une partie du mythe arthurien, tout du moins dans sa version « romaine », avec Vanth dans le rôle d’Arthur (et l’épée fichée à un moment dans le sol rappelant aussi Excalibur) faisant ses classes au sein de la Monarchie avant d’affirmer son pouvoir propre sur celle-ci et suivant les conseils d’un Merlin/cyborg (Darklock) autant confident et professeur que manipulateur.
Mais plus que toute autre, et dans une filiation logique avec les éléments arthuriens, l’influence qui saute aux yeux à la lecture de cet album c’est celle du premier film Star Wars de George Lucas.
Elle est partout !!
Dans les costumes des hommes-chats qui renvoie à celui de Luke Skywalker, dans les fermes de ceux-ci, dans leurs landspeeders, dans l’épée lumineuse de Dreadstar, dans la séquence « refus-mort du village-acceptation de la mission » qui reprend trait pour trait celle d’une célèbre séquence de Star Wars…. nulle étonnement à cela vu qu’on est alors pile un an avant la sortie du Retour du Jedi.
On distingue aussi des renvois à deux autres grandes œuvres de la S-F que sont Fondation pour les manœuvres à très long terme afin d’influer sur le destin de la galaxie et Dune, pour ces mêmes manœuvres mais aussi la création d’un messie/sauveur ou pour l’opposition entre un pouvoir commercial utilisant un roi fantoche face à un pouvoir religieux.
Si l’on sent un pointe d’essoufflement, qui ira en s’accentuant dans les décennies suivantes, chez un Starlin qui commence légèrement à radoter ses obsessions derrière ce melting-pot pas très discret, l’ensemble passe bien grâce à l’enthousiasme de son auteur pour le petit monde qu’il développe.
Ainsi, mis à part une ou deux lourdeurs lyriques, l’ensemble se lit comme une bonne vieille nouvelle de S-F qu’on aurait trouvé lors d’une brocante.
Non, le vrai, le seul et finalement le gros problème de cet album, c’est le graphisme de Jim Starlin.
Poursuivant dans la voie de la peinture, ici directement en couleurs, l’ancien dessinateur de Warlock livre un résultat pour le moins hasardeux.

Si ses pages d’Epic Illustrated en noir et blanc étaient très jolies grâce à une science des ombres déjà éprouvée et un trait plus doux donnant une aspect « vieille légende » pas désagréable, l’oeuvre du Starlin « peintre » alterne entre le meilleur et le pire sur ce Marvel Graphic Novel.
Pour son approche de la peinture, le torturé Jim s’inspire lui aussi des Préraphaélites (l’ouvrage se termine sur une citation de John Ruskin, précurseur du mouvement) mais avec moins de réussite qu’un Craig Russell. En fait, ils dépassent même les préraphaélites en puisant directement à la source des primitifs italiens et de l’art médiéval.
Par moments il réussit à donner une certaine magie à ses peintures que ne renieraient pas les frères Hildebrandt (la page d’ouverture avec un Dreadstar errant dans la nuit, à peine éclairé par le scintillement de son épée est très belle) ou réussit à rendre hommage aux artistes du Moyen-Age.
A d’autres ses planches ressemblent à un assemblage de couleurs totalement non-maitrisées qui heurtent l’oeil du lecteur ou au contraire lui font froncer les sourcils afin de réussir à distinguer quelque chose.
Il faut croire que Starlin prit ensuite conscience de ses faiblesses puisqu’à part un court segment peint en n&b dans Epic Illustrated il ne reviendra plus toucher à la peinture.
Un Marvel Graphic Novel « intéressant » donc, ne serait-ce que pour l’histoire et si l’on réussit à « survivre » à la partie graphique (si l’usage des couleurs n’est pas maitrisé, le trait de Starlin reste sûr) qui nous fait assister à une nouvelle métamorphose de l’odyssée d’un auteur marqué par le dernier succès au box-office de son époque.
La suite, publiée en série régulière sous le titre Dreadstar au sein du label Epic, entérinera à la fois la primauté du personnage alter-ego de Starlin sur le concept initial de la série tout en citant encore plus ouvertement Star Wars.
Pour les personnes intéressées par les aventures de Dreadstar, sachez que IDW a publié une série de recueils reprenant l’intégrale de la série.
Après avoir fait son marché dans les pages d’Epic Illustrated avec Elric et Dreadstar, le label MGN reviendra faire un tour dans le Marvelverse et s’assurera une belle promotion en publiant un album (servant de prologue à une série régulière) écrit par LA star de Marvel des années 80, Chris Claremont.
