
Après cette mise en valeur du catalogue Epic que furent Elric et Dreadstar, la collection Marvel Graphic Novel revient faire un tour dans l’univers Marvel proprement dit et, histoire de s’assurer une belle promotion, plus particulièrement dans le coin des X-Men dont la côte est alors en train d’exploser auprès des lecteurs.
La collection MGN rencontrera avec ce volume un énorme succès commercial (à défaut d’artistique) qui fera de ce Graphic Novel, publié en France dans la collection Top BD, l’un des plus recherchés sur le marché durant des années.
1982 est l’année qui marque le début de l’expansion de l’univers mutant dont le succès ne s’est jamais démenti depuis sa relance en 1975.
Sachant qu’il tient un filon entre les mains, Shooter décide d’entamer les grandes manœuvres en lançant plusieurs projets afin de profiter de la popularité des X-Men.
Si le grand chef d’orchestre de la série, Chris Claremont, renâcle un peu à dupliquer la recette, il décide finalement de s’atteler à ces différents projets afin de garder la main-mise sur l’univers qu’il est en train de développer.
L’année 1982 est quasiment un festival mutant à elle toute seule et voit donc la publication coup sur coup d’un serial afin de lancer l’anthologie Marvel Fanfare ( Au royaume de Ka-Zar), d’un crossover avec les personnages les plus populaires de DC de l’époque (The uncanny X-Men & the New Teen Titans), d’une mini-série consacrée au personnage le plus populaire du groupe (Wolverine), d’un Graphic Novel consacré à l’équipe (God Loves, Man Kills qui ce sera le sujet du prochain article de cette section) et le lancement de la première série régulière spin-off de la licence au travers de cet album.
Les New Mutants donc.
Comme beaucoup de concepts concernant les X-Men de Claremont, il semble que cette idée d’une classe de jeunots remonte à très loin, attestant ainsi de la véracité quant à la capacité de Papy à planifier ses plots sur le très long terme.
La genèse de l’équipe connut de multiples retouches, mises au placard pour mieux ressurgir, ajustements en fonction des changements intervenus en cours de route…
Si l’on ajoute à cela les mémoires sélectives (ou défaillantes) des différents protagonistes de l’affaire qui ont tous tendance à tirer la couverture à eux afin de s’attribuer le mérite de telle ou telle idée géniale, il devient difficile de retracer l’affaire de façon totalement claire.
En recoupant diverses sources et éléments, il semble que le responsable de ce retour au concept originel de la série (des ados apprenant à contrôler leurs pouvoirs sous l’égide du professeur Xavier) soit John Byrne.
Ainsi, il envoie un beau jour de 1978 un croquis présentant un nouveau personnage à Claremont ainsi qu’un concept sorti de son chapeau .

On retrouve bien là la patte de Byrne et son habituelle fascination pour les premiers épisodes de Stan Lee et Jack Kirby dans cette volonté de remettre l’école (qui finalement n’intéressa quasiment jamais Claremont) sur le devant de la scène.
Si cette idée enthousiasme Claremont et l’editor Roger Stern, elle est promptement rejetée par Shooter et la seule rookie intégrée à l’équipe sera Kitty Pryde.
Malgré tout, l’idée commence à faire son chemin dans l’esprit de chacun.
Ainsi, dans l’un des multiples projets de Claremont qui furent finalement avortées par la conclusion de la Dark Phoenix Saga se trouve l’idée d’une nouvelle classe qui viendrait remplacer la génération des Storm and co jusqu’à la confrontation avec Magneto du numéro 150 (elle aussi bien différente de ce qui était prévu à l’origine).
Pendant ce temps, constatant le succès de plus en plus grandissant des X-Men, Shooter change son fusil d’épaule et se dit que finalement, il ne serait pas mauvais de surfer sur le succès des mutants afin d’engranger plus de bénéfices.
C’est De Falco qui souffle alors à l’editor-in-chief l’idée d’établir une seconde équipe mutante sur la côte ouest.
L’idée évolue au fur et à mesure des années et prend la forme d’un retour de l’équipe des origines sur la côte ouest afin d’utiliser un certain nombre de mutants alors inexploités grenouillant sur la côte ouest (Iceberg et Angel plus ou moins au chômage depuis la fin de la série Champions et Dazzler dont personne ne sait décidément quoi faire).
Et histoire que rien ne se perde, les vétérans X seraient en charge de jeunes mutants à qui ils apprendraient à maîtriser leurs pouvoirs.
Alors que l’année 1983 approche à grands pas et qu’il convient de fêter comme il se doit le vingtième anniversaire de la série X-Men, ce projet est de plus en plus en passe de se concrétiser, ce qui n’enchante pas tellement un Claremont toujours aussi soucieux de garder la main sur l’univers mutant (surtout que le projet doit incluer Cyclope, personnage auquel le scénariste est particulièrement attaché).
Finalement, Papy et Louise Simonson (son editor d’alors) soumettent un projet légèrement différent à Shooter (une classe d’ados à côtés des X-Men à Westchester) que ce dernier accepte.
La série est donc planifiée pour être lancée en 1983 afin de coïncider avec les 20 ans tandis que les autres idées sont rangées dans un placard mal fermé (l’idée d’équipe ouest ressurgira chez les Avengers en 1984 tandis que Angel et Iceberg partent rejoindre les New Defenders de leur camarade Fauve en 1983 avant que la réunion des X-Men d’origines reconvertis plus ou moins en professeurs se concrétise en 1986 avec le lancement d’X-Factor, Dazzler ne reviendra quand à elle dans l’écurie X qu’en 1987).
Suite à un essai réussi sur un épisode des X-Men (le numéro 152), Marvel confie la destinée graphique du futur spin-off à un encreur souhaitant devenir pleinement dessinateur, Bob Mc Leod.
Claremont et son artiste se mettent alors à plancher patiemment sur le premier épisode des New Mutants avec une avance de trois mois.
Sauf que…
Sauf que dans le chaos du Marvel de l’époque, le projet change encore subitement de forme au grand dam des auteurs.
Ainsi, et comme s’en est ouvert Mc Leod, Marvel lança sa collection de Graphic Novels un peu précipitamment et sans réelle organisation, ce qui explique la nature pour le moins hétérogène de la collection.
La direction avait alors mis en place un planning des publications avec l’imprimeur mais sans planifier de projets derrière avec les artistes ce qui fit que la collection se trouvait avec un manque substantiel de comics à publier.
Ceci explique, par exemple, le pourquoi de la publication du Elric de Russell récupéré des pages d’Epic Illustrated.
En fait, New Mutants n’aurait même pas dû être un MGN mais vient jouer les bouche-trous afin de pallier au retard de Walter Simonson sur son propre Graphic Novel comme l’expliqua plus tard l’intéressé:
« I do remember that I’m responsible for making the first New Mutants story a graphic novel. The Slammers was supposed to be the fourth graphic novel in the Marvel series (which was numbered back then), and I was running… ahem!… a tad late. So Jim Shooter, the editor-in-chief at Marvel, told Weezie [the series editor] that what would have been the first issue of the regular New Mutants series-a double-sized issue-was going to be published as a graphic novel instead. Thus New Mutants became the fourth Marvel graphic novel, and the Slammers became the fifth » (en fait, ce fut le sixième).
Le système américain à l’époque voulant que l’éditeur paie des pénalités à l’imprimeur s’il n’a pas de produit à présenter, on comprend mieux certaines particularités telles que les fill-ins où les republications de vieux épisodes à intervalles réguliers.
Coincé par ses accords, Marvel informe donc subitement Claremont et McLeod que le premier épisode des New Mutants serait un Graphic Novel de cinquante pages à publier sous peu.
En fait, les deux auteurs sont même maintenant en retard d’un mois sur le planning et doivent mettre les bouchées doubles sur un projet qui n’en était qu’à son ébauche.
Ce travail s’avéra une véritable torture pour le dessinateur débutant qui, n’étant pas satisfait de l’encreur que lui désigna Marvel, préféra s’encrer lui-même et se retrouva à devoir terminer ses pages durant sa lune de miel.
Histoire de couronner le tout, ce changement fit que le premier numéro de la série régulière se retrouva lui aussi en retard sur le planning et que le pauvre Bob dut se remettre immédiatement à la tâche à la même cadence infernale.
Autant dire que dans ces conditions, il est difficile de pondre un chef-d’oeuvre.

Et malgré tout l’attachement que je porte aux New Mutants (j’ai commencé la série au numéro 5 dans Titans 63), il faut bien avouer que cet album, malgré une très belle couverture, n’est pas un grand Graphic Novel.
En effet, il était difficile de voir l’arrivée d’un album d’exception de la part d’un auteur qui s’est fait tirer le bras pour l’écrire, d’un dessinateur peu expérimenté et soumis à une pression impossible et dans de telles conditions de production.
Le résultat en lui-même n’est pas catastrophique, bien au contraire au vu des circonstances.
Mais rien ici ne dépareille d’avec le tout venant de la production Marvel d’alors et ni le scénario, ni les dessins ne méritent un écrin tel que le format GN.
Claremont se charge intégralement de la création des nouveaux élèves de Xavier et du scénario.
L’encore inexpérimenté Mc Leod préfère quand à lui s’en tenir strictement à son rôle de dessinateur même s’il confesse que le scénariste aurait tout à fait été prêt à le laisser prendre une place plus importante dans cette conception.
Du coup, c’est du 100% « Papy » (surnom affectueux) sauf que celui-ci, après s’être fait tirer la manche, ne semble pas passionné outre mesure par le concept.
Il faut dire que Claremont à tout fait pour s’éloigner au maximum de la thématique « école » des X-Men (et s’en éloignera totalement dès qu’il lâchera les NM).
Comme il l’avait lâché au détour d’une page durant son run avec Byrne, ses X-men à lui sont des adultes, des rebelles globe-trotters cherchant leur place et leur équilibre dans ce monde plutôt que des étudiants ayant besoin d’être encadrés.
Dans sa mosaïque de caractères, la place du rookie est déjà assumé par Kitty Pryde, personnage dont il est tombé amoureux et qui lui sert à questionner l’évolution du reste de son casting et Claremont semble penser que c’est bien suffisant (cette place sera comblée, une fois Kitty partie, par Jubilee afin de recréer une dynamique avec le vieux loup Wolverine dans un clin d’oeil avoué à la Robin féminine de Miller).
D’ailleurs, la figure de l’adolescent(e), bien que récurrente dans ses X-Men, semble être un point sur lequel le scénariste achoppe régulièrement et semble avoir un peu de mal à maitriser.
Ainsi de ses Kitty, Malicia ou Rachel qui semblent évoluer très vite vers l’âge adulte et si Pryde reste mineure (écoulement différent du temps oblige), son comportement évoluera très vite vers une maturité qui nous fait parfois oublier l’âge qu’elle devrait avoir.
De même, ces relations ambigües (ou pas) entre des personnages ados et les adultes, Kitty et Colossus ou Jubilee et Logan par exemple.

Du coup, ces nouveaux mutants qu’il crée semblent parfois mal maîtrisés.
Si Claremont ne se débrouille pas trop mal avec le personnage de Dani dont on sent qu’il l’inspire (ce que confirmera la série régulière) et avec celui de Rahne, on sent qu’il a un peu la main lourde sur la caractérisation de ses personnages (honnêtement, Sunspot est quand même assez comique dans l’outrance de sa tragédie).
Malgré cela, on sent le métier du scénariste qui s’attache à donner une personnalité et un langage bien distinct à chacun (ce qui est bien perceptible en V.O.).
Pour l’occasion, 4 personnages sont crées tandis qu’un cinquième auparavant vu dans un Marvel Team-Up de Claremont et Miller rejoint l’équipe et Papy donne un minimum de background, de personnalité, d’histoires potentielles à chacun mais rien non plus qui pourrait se faire relever la nuit.
Du côté de l’histoire en elle-même, ça pêche aussi un peu.
Celle-ci a été préparée depuis quelques mois dans Uncanny X-Men et prend place entre les épisodes 165 et 167 qui constituent la saga des Broods.
La réunion et le premier combat des New Mutants est une origine pas plus mauvaise qu’une autre mais reste dans la catégorie des intrigues totalement génériques.
De plus, on sent bien le reformatage en une histoire complète d’un story-arc qui semble avoir été pensé pour s’étaler sur trois numéros.
Ainsi, le déroulement du Graphic Novel semble prendre son temps dans un premier temps avant de s’accélérer grâce à la présence bienvenue de coïncidences plus ou moins heureuses.
Bref, on est pas ici en présence du Chris Claremont qui épate alors son monde sur X-Men mais le tout est lisible et s’avère agréable comme du bon Marvel de l’époque.
Pour le reste, on a du Claremont classique avec ce qu’il faut de multiculturalisme, de femmes fortes, de séquences oniriques, de messages appelant à la tolérance, de séquences à la limite du Pedobear (ces jolies cases sur Dani ou Rahne dénudées aux formes encore très timides) et du joli retcon, comme Papy en faisait assez souvent (sauf qu’à l’époque, personne ne criait au scandale), avec le personnage de Pierce, revu ici en anti-mutant de première; sans compter que cette histoire scelle la naissance de l’amour de Claremont pour le personnage de Tessa/Sage (futur personnage retconné aussi).
De plus, la série est totalement intégrée dans la continuité des X-Men et celle de Marvel en général par le biais de nombreux renvois incessants à plusieurs aventures passées des mutants et qui montre bien le caractère spin-off de ce Graphic Novel là où un Death of Captain Marvel (et la plupart des suivants) pouvaient se lire de manière totalement déconnectée du Marvelverse.
Bref, l’histoire n’avait pas été pensée pour cette collection et les coutures se voient.
Du côté graphique, le bât blesse aussi un petit peu vu que s’il est un encreur confirmé, Bob Mc Leod effectue ici son premier travail d’importance en tant que dessinateur.
Mc Leod a commencé sa carrière sous l’égide de Neal Adams au sein des Crusty Bunkers (le groupe d’encreurs, retoucheurs, assistants d’Adams) du Continuity Studio (Ah ! Ces stars qui se battent contre les studios mais en recréent le système.) avant de rejoindre le giron de Marvel et DC et de devenir l’un des encreurs les plus demandés du moment grâce à sa plume grasse, sûre et détaillée dans la lignée d’un Tom Palmer.
Suite à son essai sur Uncanny X-Men, il se voit proposer deux choix : reprendre la série à la suite d’un Dave Cockrum sur le départ ou bien lancer le premier spin-off mutant.
Mc Leod choisit la seconde solution histoire de pouvoir poser sa marque de manière plus aisée.
Ainsi, il conçoit graphiquement les New Mutants et de ce point de vue, ses designs sont assez réussis.
Le passage du bleu au noir des costumes et le côté épuré de l’apparence de Solar sont des trouvailles particulièrement élégantes.
De plus, il s’applique a réellement donner une apparence distincte à chacun des personnages et qui reflète autant leur nature intérieure que le milieu d’où ils viennent. Si, à l’exception du tombeur Sunspot, les personnages ne sont pas les plus glamour qu’on ait vu, ils fonctionnent et sont finalement assez fidèles à ce qu’on appelle l’âge ingrat : L’aspect dégingandé d’un Guthrie maladroit et naïf, l’androgynie d’une Rahne marquée par une éducation niant la féminité (symbole du malin), les caractères physiques amérindiennes et asiatiques de Dani et Shan qui vont plus loin que les simples aplats rouges et jaunes afin de marquer leurs différences.
Et surtout, les physiques des New Mutants sont ceux d’adolescents et évitent les écueils des muscles et poitrines hypertrophiées.
Tout le travail de design est assez réussi, il faut bien l’avouer.

Pour les pages en elles-même, le résultat est un peu plus mitigé.
L’influence de Neal Adams est présente partout dans les dessins de Mc Leod, que ce soit dans les personnages au « réalisme » ultra-détaillé ou dans les mises en page en zig-zag.
L’autre grande influence du dessinateur est Mort Drucker, mythique caricaturiste de Mad, ce qui fait que les dessins obtiennent un rendu plus rond, plus doux que ceux d’Adams.
Le problème de ces influences conjuguées c’est que Mc Leod n’arrive pas à trancher entre elles et que son alliance des deux rend ses dessins plus faibles que ceux de ses modèles.
On ne trouve nulle trace dans ses planches de la folie de ses maîtres.
Si ses personnages font preuve d’expressivité, ils ne possèdent pas celle démesurée des caricatures de Drucker tandis que ses planches sont singulièrement moins puissantes que celles d’Adams.
Du coup, les scènes d’actions sont un peu mollassonnes, sans compter que les décors sont tout de même très génériques (bonne chance pour distinguer les différences entre les Appalaches de Guthrie, les Rocheuses de Dani et les montagnes autour de la base de Pierce).
Le dessinateur lui-même considère ces planches comme les plus catastrophiques de sa carrière.
Au vu des circonstances de production, je serais moins dur que le dessinateur qui s’en sort quand même très bien grâce à un académisme et un métier éprouvé.
Pour l’occasion, Glynis Oliver opte pour une palette de couleurs moins vives qu’à l’habitude afin de se rapprocher du rendu peint, ce qui sied parfaitement à la qualité du papier baxter.
Bref, un Graphic Novel un peu décevant du coup et qui ne doit ce titre qu’à cause de son format.
Par contre, l’opération s’avère juteuse commercialement pour Marvel et les spéculateurs puisque les gens ayant commencé la série régulière New Mutants (publiée sur le marché normal) en furent quitte pour trouver la première aventure de leurs nouveaux héros et se mirent alors à spéculer frénétiquement sur ce MGN.
Un produit pas désagréable au final mais certainement pas une grande réussite de la part de ses auteurs (mais rien de déshonorant non plus).
Heureusement, Claremont se rattrapera bien vite, et avec quel brio, avec le Graphic Novel suivant.
