Graphic Nuggets, On the Run(s), Red is the New Black

2/ Hot Child in the City (Daredevil 239-240)

 

Ann Nocenti débute véritablement son run sur la série avec un diptyque très intéressant qui tout en s’appropriant les apports de Frank Miller commence à les emmener dans une direction plus proche de sa propre sensibilité.

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©Marvel Comics

« Rotgut est un jeune homme albinos quelque peu perturbé.
Trop couvé par une mère soucieuse de sa santé, il perçoit le monde, la ville, les gens comme un nid d’infections, de microbes constituant un danger pour sa santé.
Perdu dans le chaos de ses pensées, il harcèle les jeunes femmes au téléphone, erre dans les rues ou s’enferme dans la cave de son immeuble.

Pendant ce temps, Murdock se fait à sa nouvelle vie et semble apprécier la simplicité de celle-ci. En tant que DD, il prend les Fat Boys sous son aile et décide de les guider afin d’éviter qu’il ne glissent sur la voie du crime.
Sous son identité civile, il flotte sur un petit nuage de bonheur et apprécie de ne plus jouer les jouer les avocats aveugles, de jouir d’un simple emploi de cuistot et de l’amour de Karen Page.

Son chemin croise celui de Rotgut au moment où ce dernier franchit un cap dans sa folie et assassine une jeune femme sauf qu’un groupe d’hommes prend DD pour le coupable, permettant au vrai tueur de s’enfuir.
Glissant de plus en plus dans la folie, Rotgut continue de commettre des meurtres au hasard avant de décider d’empoisonner les habitants de son immeuble par le biais du système d’eau.

Grâce à l’aide des Fat Boys, DD réussit à éviter le pire et à appréhender le tueur pour le placer en institut psychiatrique. »

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©Marvel Comics

Pour le coup, ce petit arc plein comme un œuf est un bon exemple de la tactique d’infiltration de Nocenti sur la série.
Plutôt que d’effectuer une rupture brutale de ton ou de s’en prendre frontalement aux aspects du personnage sur lesquels sa vision diverge de ses prédecesseurs, elle les fait siens et les confrontent à d’autres éléments afin d’emmener le personnage vers sa sensibilité propre.

Ainsi, cette histoire possède plein d’aspects « milleriens » avec une histoire urbaine en diable, un serial killer dérangé en droite lignée du Victor du graphic novel Love & War, des bas fonds craspecs où traîne toute la lie de l’humanité dans tous les sens du terme, un DD qui fait usage de ses poings, un parent célibataire élevant un enfant « handicapé »…
Mais derrière ce vernis qui pourrait faire croire à une histoire grim n’ gritty digne du Punisher de l’époque, elle questionne aussi les apports de Miller à la série et son héritage, qu’il soit volontaire ou non.

C’est bien sûr visible au travers du personnage de Rotgut dont le handicap et le rapport avec une mère célibataire ne sachant pas comment exprimer son amour ou aider son enfant à surmonter son handicap renvoie forcément au lien qui unissait Matt et son père.
Sauf que là où Jack Murdock donna un but à son fils, faire des études, afin de lui permettre de se faire une place dans la société, la mère de Rotgut n’a pas réussi à couper le cordon ombilical et a construit un cocon finalement plus destructeur que protecteur autour de son fils vu qu’elle a transmis ses propres peurs à son enfant.

La scénariste s’attarde aussi longuement sur les pensées et le passé du pauvre Rotgut afin de montrer tous les traumatismes qui l’ont emmené là où il en est aujourd’hui et démontrer que ses actions sont aussi le résultat de l’environnement dans lequel il a grandi lui faisant ainsi dépasser le stade de simple serial killer de service comme on en trouve tant dans les pages des séries de l’époque.
Plutôt que de jeter un voile pudique sur le mal existant dans notre univers, elle l’analyse, creuse ses racines et met en exergue sa complexité.
Bref, entre l’inné et l’acquis, l’auteur a choisi le second et au contraire de Miller, un être accomplissant le mal le fait au moins autant à cause des circonstances que par volonté propre.

Elle effectue donc avec finesse un pas de côté en reprenant l’héritage de la série tout en le critiquant en sous-main lui permettant ainsi de satisfaire les lecteurs cherchant à la fois une histoire de pyschokiller typique de l’époque et ceux recherchant un peu plus que cela dans les pages de leurs comics.

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©Marvel Comics

Dans cette même démarche, elle pousse aussi Daredevil à se remettre en question en le confrontant à son image publique.
Pris à parti par un groupe le prenant pour le coupable des meurtres, ceux-ci décident finalement de croire le justicier mais refusent néanmoins son aide en questionnant la violence entourant le justicier et ses méthodes.
Cette image d’un DD rendant justice à la force de ses poings plutôt que de manière légale depuis qu’il a tout abandonné derrière lui va constituer un long travail de remise en question du personnage qui va courir sur tout son run en reprenant une fois encore l’héritage millerien pour le développer sous un jour tout personnel.

On peut aussi admirer au passage comment elle dénoue l’imbroglio de la situation entre DD et la Veuve.
Plutôt que de faire un caca nerveux comme Steve Englehart, elle prend note de la contradiction et clôt l’amorce d’intrigue de son prédécesseur avec intelligence.
Ainsi, la Veuve apparaît comme tourmentée et si elle s’engage dans toutes ces opérations de charité afin de redorer l’image des super-héros c’est parce qu’elle ne se remet pas de la mort de Hazzard.

Pour le reste, c’est du Nocenti pur jus avec l’intrusion dans la série de ses obsessions écologiques, de son rapport « amour-haine » envers la ville de New York, de sa fibre socialisante, de son intérêt pour les exclus du système…

C’est un joli tour de force qu’elle effectue avec la création de Rotgut qui lui permet d’interroger ses propres convictions écolos en les poussant à l’extrême.
Avec un tel personnage encore plus obsédé d’hygiène qu’Howard Hughes, qui ne voit que les bactéries, les infections, les virus, la pollution, la saleté, la crasse que peut porter chaque être et objets de son environnement, la scénariste démontre bien que la volonté d’une vie totalement saine est impossible et ne peut mener qu’à la folie.

L’histoire prend même à certains endroits un aspect totalement « Cronenberg » dans ces séquences où le rapport au corps de Rotgut se confond avec son rapport à la ville ou aux canalisations et à la chaufferie de son immeuble.
L’albinos devient alors une sorte de chirurgien perverti pensant qu’éradiquer le cancer de la ville/immeuble lui permettra de supprimer celui (imaginaire) de son propre organisme.
La folie terrifiante de Rotgut n’a alors rien a envier à celle des jumeaux magnifiquement campés par Jeremy Irons dans le traumatisant Dead Ringers / Faux Semblants de David Cronenberg.

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©Marvel Comics

Le seul défaut de l’auteur, outre une certaine prolixité dont Nocenti ne se débarrassera jamais vraiment (mais qui ne me dérange pas pour ma part), tient dans la construction un peu hasardeuse d’une intrigue qui fait la part belle aux coïncidences heureuses afin d’emmener tous les protagonistes au même endroit.
Du coup, l’apparition de tel ou tel personnage par un coup de baguette magique fera sourire le lecteur.

Par contre, graphiquement c’est très passable voire oubliable.
Clairement, Louis Williams est un artiste passe-partout dont la prestation ne restera pas dans les mémoires.
Il n’y a rien de déméritant ou de réels défauts dans ses dessins mais rien non plus qui attire l’oeil, fasse preuve d’imagination ou ne réussisse à dynamiser le récit et ce malgré la qualité de l’encrage d’Al Williamson.

Le seul moment où nos paupières se relèvent c’est lorsque le récit nous donne à voir le monde déformé par le regard de Rotgut.
Williamson encre ces pages là différemment avec force de traits fins et serrés et un flou dans les formes des créatures monstrueuses peuplant la psyché du tueur qui retranscrit parfaitement le brouillard confus dans lequel ce dernier évolue.

Un arc intéressant donc même si la scénariste n’est pas encore à son meilleur niveau (certaines répliques, en particulier de Karen, sont un peu tartes), et malgré la fade prestation d’un dessinateur inintéressant qui sera remplacé par une star en pleine ascension pour le prochain épisode.

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©Marvel Comics

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