
Suite aux départs conjugués de Todd McFarlane et Bob Harras ainsi qu’à la (supposée) mort du héros, Peter David va en profiter pour reprendre à son compte une autre tactique de Chris Claremont en renversant la table afin de pousser sa série dans des directions encore insoupçonnées.
Si cette période continue d’asseoir la popularité du Hulk gris au point de le voir aller faire plein de visites chez ses petits camarades (Wolverine, Spider-Man, Fantastic Four…) et de rendre la politesse en leur permettant de venir jouer dans son bac à sable « vegasien », la série connaît néanmoins une période de flottement qui fait qu’on peut là aussi la diviser en deux sous-périodes.

Tout commence donc quelques mois plus tard à Las Vegas (épisode 347) où Michael Berengetti, propriétaire de l’hôtel-casino le Colisée et parrain local, se voit menacé par l’arrivée d’un concurrent.
Heureusement, Berengetti a un atout dans sa manche, un mystérieux garde du corps à la peau grise, à la force impressionnante, à l’intelligence et à la répartie vives et aux costumes impeccablement taillés… Joe Fixit.
C’est bien évidemment le Hulk Gris que Berengetti a trouvé dans le désert passablement confus quelque temps plus tôt.
Le rebaptisant du nom de son gorille préféré, il promet de prendre soin de Joe et lui offre tout ce qu’il a toujours désiré : le confort, l’argent, le luxe, les femmes… et des zozos à tabasser dès que l’occasion se présente.
Bref, tout baigne pour Hulk qui semble avoir réussi à se débarrasser de Banner.
Mais plusieurs grains de sable vont venir gripper cette belle mécanique.
Il y a d’abord les agissements de la Maggia pour laquelle travaille Gold, le rival de Berengetti, et qui souhaite faire de la ville son nouveau territoire.
Il y a aussi la bombasse Marlo Chandler qui pense avoir trouvé l’homme de sa vie en la personne de Joe Fixit.
Enfin, et surtout, il y a Banner que Joe commence à sentir s’agiter au fond de sa conscience et qui le rend à nouveau vulnérable à la lumière du jour (même si le bon Bruce ne reviendra pas tout de suite).

N’ayant pas réussi à faire céder Berengetti, Gold engage l’Homme Absorbant (348) afin de régler son compte à Fixit sans plus de succès.
Peu après, rejetée (répudiée?) par Fixit, Marlo décide de piquer sa jalousie en allant draguer un Peter Parker de passage pour dédicacer son livre de photos ( crossover Web of Spider-Man 44 – Hulk 349).
Spidey et Hulk se retrouvent pris dans un affrontement entre des mercenaires cyborgs qui se disputent un prix en se défouraillant les uns les autres sans prêter attention aux civils, Marlo se voyant « gratifiée » d’un séjour à l’hôpital.
Avant de pouvoir se rendre au chevet de sa belle, c’est le Docteur Fatalis qui prend Joe Fixit à partie et l’envoie se castagner contre la Chose en jouant sur la vanité du géant gris (crossover Fantastic Four 320 – Hulk 350).
Plus faible que son rival historique, Hulk ne remporte la victoire qu’en faisant preuve de sa ruse.
Les catastrophes continuant de s’accumuler, il est recruté par les Vengeurs afin de participer au crossover Evolutionary War (Avengers Annual 17).

Fourbu par toutes ces mésaventures, Joe Fixit rentre à Vegas avant de s’écrouler comme une masse et d’entamer un rêve-flashback.
C’est là que nous est révélé ce qui s’est passé à la suite de Ground Zero (351 – 352).
Transporté in extremis dans le monde subatomique de Jarella par des résistants lui promettant de mettre en place un sort pour rester Hulk 24 heures sur 24 contre son soutien à leur cause.
Ils les aident ainsi à renverser une théocratie l’ayant érigé en dieu.
L’épisode se conclue sur l’image d’un Banner endormi et donc de retour dans la vie de son alter-ego gris, promesse de nouveaux conflits et rebondissements.
Bon, ben rien que le résumé de ces épisodes montre que tout cela n’est pas bien palpitant même pour les amateurs de Peter David.
Entre un nouveau dessinateur au style pour le moins particulier (on y revient plus loin) et une editor, Bobbie Chase, qui prend ses marques, c’est donc peu de dire que cette période se caractérise par un certain flottement.
En soi, la démarche de David est intéressante puisque ce nouveau statu-quo lui permet de développer le personnage du Hulk gris de manière encore plus approfondie.
Débarrassé de l’influence de Banner, Fixit peut donc pleinement exprimer sa personnalité et au lecteur d’ainsi de mieux comprendre sa psychologie et les motivations qui l’agite.
Profiter de l’argent, se bastonner, boire outre mesure, se taper des femmes à gogos, se fendre la poire, être loyal envers ses potes (Berengetti) et surtout n’avoir aucune responsabilité… bref des motivations très adolescentes.
Le genre qui donne à certains l’envie d’une carrière de rock star.
Le Hulk gris semble donc de plus en plus s’affirmer comme le reflet des fantasmes adolescents refoulés du docteur Banner qui peuvent enfin s’accomplir en toute impunité.

La poursuite des rêves, ou plutôt d’illusions bon marché, et les obstacles se dressant devant nous et nous empêchant à jamais de les saisir semblent d’ailleurs la principale thématique de ce run à Las Vegas, ville de toutes les chimères.
Que ce soit Marlo qui pense trouver en Fixit l’homme de sa vie, la Maggia et Gold qui rêvent de supplanter Berengetti, l’Homme Absorbant qui souhaite retrouver la vie qu’il menait avec Titania, Fatalis qui désire reconquérir son royaume et son statut ou bien Hulk croyant trouver la réalisation de ses fantasmes… tous vont se faire tenter, avaler, broyer puis méchamment rejeter par la cruelle Las Vegas qui comme une sirène charme pour mieux dévorer sa proie.
Mais pour l’instant, cela reste encore peu perceptible, comme en surface et les pièces du puzzle semblent cette fois-ci avoir un peu plus de mal à susciter l’intérêt et ce pour plusieurs raisons.
Ainsi, si le parti pris de virer le cast historique de la série est courageux, PAD se coupe d’une branche bien utile.
Le problème c’est que la petite galerie de personnages qu’il créé ici se révèle au bout du compte à peine ébauchée et peine finalement à passionner le lecteur.
Berengetti est un mafieux à l’ancienne, dur mais loyal, Gold est une caricature de méchant des 60s et ne semble pas constituer une menace crédible.
Quand à Marlo et ses colocataires, il faut reconnaître qu’elles sont pour l’instant assez potiches.
David semble bien suggérer à demi-mot dans un premier temps que la grande rousse semble exercer un métier trouble (du genre escort ou autre) mais tout cela est très vite recadré pour faire de la miss une prof de gym au cœur d’artichaut et en perpétuelle demande d’attention.
Bref, on est encore loin de la Marlo Chandler que tout le monde adore.

Au niveau des thématiques et styles abordés c’est aussi survolé d’assez haut et mis à part celle décrite plus haut, on reste aussi sur sa faim.
Rien qui ne fasse réellement vibrer le lecteur, le fasse rire, s’émouvoir, réfléchir ou tout simplement se sentir interpellé.
Le seul épisode à l’humour et à la fluidité des dialogues à peu près réussi n’étant pas un épisode de Hulk mais de Web of Spider-Man.
Il faut attendre les épisodes 351-352 pour que la veine habituelle de David commence enfin à remonter à la surface avec une histoire s’attaquant aux institutions religieuses mais aussi à la foi aveugle qui pousse certains à se réfugier auprès de n’importe quel gourou qui veuille bien leur dire quoi faire et apaiser leur peurs.
Une histoire assez maligne donc qui renvoie les deux parties croyants/ecclésiastiques dos à dos, chacune ayant sa part de responsabilités dans les dérives des religions au cours des âges.
Mais c’est réellement au niveau de la construction de l’histoire que ça pêche.
Le fil directeur que constitue la menace de la Maggia sur le petit monde criminel de Las Vegas est mené de manière poussive, très poussive et ne semble passionner ni le lecteur ni le scénariste tant les événements s’enchaînent sans réelle construction, suspens ou enjeu.
A aucun moment on ne sent Gold et ses alliés constituer une véritable menace.
La série commence même à perdre toute véritable direction dès que les crossovers se mettent à s’amonceler puisque le subplot de la lutte Berengetti-Gold disparaît des pages.
Ainsi durant cette période on a l’impression d’être revenu 15 ans en arrière quand les sparring partners traversaient la série les uns après les autres sans véritable raison autre que de se peigner avec Hulk.
Bobbie Chase tout juste arrivée au poste d’editor a pour le coup manqué de poigne dans son suivi du travail éditorial et a cédé trop facilement au gimmick commercial du crossover dans ces premiers mois où la série part sur de nouvelles bases.
A moins que PAD n’ai passé trop de temps à construire la psychologie de son nouveau Hulk au détriment de la progression de son histoire.

De plus, David n’est pas aidé par son dessinateur, le débutant Jeff Purves, dont il n’aura de cesse de chercher un remplaçant.
Il faut dire que le graphisme de Purves est pour le moins… particulier (pour être gentil).
Si sa mise en page et sa narration classique rendent le tout lisible (et lui vaudront de se reconvertir dans le story-board), ses décors sont très aérés, ses designs sont à la limite du ridicule et ses personnages ont un aspect étrange avec des physiques trapus et des yeux très écartés.
Son dessin n’est ni cartoony, ni réaliste, manque de punch et est totalement anti-glamour.
Ainsi la faune criminelle ressemble plus à des échappés du carnaval de Rio qu’à de véritables gangsters et ses femmes sont tellement « sèches » qu’on se demande bien pourquoi tous les mâles en pincent pour Marlo.
Seul rescapé de ce naufrage artistique, le personnage de Hulk qui sous le crayon de Purves se met à ressembler à une sorte de bull-dog hargneux et survitaminé, ce qui colle finalement bien à l’agressivité du Hulk gris.
Pourtant, les quelques couvertures où Purves s’encre lui-même se révèlent pas désagréables à l’oeil et semblent receler un potentiel (la couverture du 351 à tout hasard).
Mais il semble bien le seul à comprendre comment aborder son crayonné tant ces épisodes se caractérisent par une valse d’encreurs qui échouent dans leur tâche de rehausser le graphisme.
Le couple Mike et Valerie Gustovich rendent une copie qui ne fait qu’ajouter à la laideur ambiante (347-348) avant de céder la place à Terry Austin (349-350-352) dont l’encrage seconde manière ne convient pas du tout.
Avec sa profusion de petit traits fins et anguleux, il donne un aspect totalement surréaliste à des planches qui semblent remplies d’action figures encore plus raides qu’un Transformer ou un Big Jim.

Seul Bob Wiacek (351) réussit à relever le tout en donnant un rendu assez proche de son travail avec Simonson sur X-Factor.
Mais c’est là encore un choix inadapté puisque son encrage froid et presque éthéré s’accorde bien peu avec le monde d’heroic fantasy de Jarella.
Les crossovers ne jouent pas non plus en faveur de Purves et il suffit de comparer ses planches du 350 avec le classicisme de Keith Pollard sur Fantastic Four 320 pour voir que le duel ne joue pas en sa faveur.
Même le très fade Alex Saviuk se révèle plus agréable sur Web of Spider-Man 44.
Autant dire qu’entre toutes ces choses, la période gangster de Hulk ne commence pas sous les meilleurs auspices.
Si la série continue de bien se vendre et que le personnage reste populaire c’est d’une part parce que ce Hulk plus sombre est plus en phase avec l’air grim n’ gritty de l’époque et aussi de part l’attaque marketing de Marvel qui le fait apparaître quasiment partout.
Tellement partout que l’identité secrète de Joe Fixit ressemble à un secret de polichinelle involontairement comique tant les ¾ des superslips bons ou mauvais savent que Hulk est en vie et où il se trouve.
Malgré tout, une partie du lectorat réclame à corps et à cris les retour du Hulk vert et de Banner.
Comme précédemment, PAD va leur donner en partie satisfaction tout en changeant la dynamique de la série.
Le retour de Banner va surtout lui redonner l’inspiration et lui permettre de donner direction et consistance à la fin de la période Vegas tandis que Purves va recevoir le renfort d’une vieille connaissance de Hulk pour colmater les brèches.
