
Après une série d’épisodes en demi-teinte, The Incredible Hulk réussit à reprendre du poil de la bête grâce au retour ou à l’arrivée de quelques personnages qui vont agir comme des chiens dans le jeu de quilles bien rangé qu’est la vie de Joe Fixit.
Peter David enfin plus ou moins débarrassé des encombrants crossovers et guest-stars de service va réussir à redonner de l’allant au petit monde de Las Vegas dans une spirale d’événements au rythme haletant et qui vise à détruire le petit paradis que s’est construit Hulk afin de pouvoir le relancer dans une nouvelle direction.
Cette saga est moins connue et citée que Ground Zero car moins en prise avec son temps et ne bénéficiant pas d’un dessinateur aussi populaire que Todd McFarlane.
Malgré tout, elle est mieux construite que la première partie du run vegasien tant les divers éléments s’imbriquent avec logique les uns dans les autres tout en poussant encore plus loin les rapports tourmentés entre Banner et Fixit.

Tout commence donc avec le retour de Bruce Banner.
Mais le pauvre Bruce n’a pas le temps de faire le point sur la situation que la Maggia décide de passer enfin à l’attaque en sortant les gros moyens (épisodes 353 – 354).
Obligé de fuir, le docteur Banner part se réfugier chez Marlo afin de tirer au clair tout ce qui s’est passé pendant son absence.
Le boss de Fixit, Berengetti, est lui aussi en fuite et à la recherche de son garde du corps qui a mystérieusement disparu.
Tout ce petit monde va se croiser à un moment ou à un autre dans une sorte de vaudeville à la sauce gangster qui va considérablement épicer les relations entre les protagonistes.
Berengetti commence à se méfier de son garde du corps qui a un peu trop l’habitude de disparaître sans prévenir.
La curieuse Marlo compte bien découvrir la véritable nature de l’étrange lien unissant Bruce et son amant.
Ceci va commencer à l’emmener à reconsidérer sa relation avec Joe Fixit tout en se sentant attirée par Bruce Banner.
Banner compte bien tout faire pour récupérer sa vie tandis que Hulk ne veut pas lâcher le petit paradis qu’il s’est construit.

Si les relations entre les deux alter-egos se tendent considérablement, Bruce va petit à petit commencer à comprendre certains aspects du géant gris, qui s’avère finalement plus proche de lui qu’il ne le pense, par le biais de Marlo.
Pendant qu’un nouveau mystérieux personnage erre dans les rue de Vegas en apportant le bonheur au gens, Hulk va reprendre la main et donner une nouvelle raclée homérique à la Maggia.
Pour le coup, on assiste à un retour en grande forme de PAD qui sait manier habilement les allers et venues de son cast afin de faire rebondir leurs relations dans de nouvelles directions.
Pareillement, l’inversion des rôles entre Hulk et Banner est une trouvaille astucieuse qui permet de mettre en avant de nouvelles facettes de ces deux avatars.
Cette fois-ci c’est Banner qui devient l’impondérable menaçant le bonheur de Hulk.
Cela permet au scénariste de creuser encore un peu plus la personnalité de Fixit en mettant bien en relief ses motivations et ses désirs, montrant par là que Hulk n’est pas juste une menace bonne à apporter de la castagne mais aussi un être à part entière.
Banner prend aussi un tour plus pro-actif en cherchant à saper petit à petit la petite bulle de son alter-ego ce qui permet de casser un peu plus l’image du savant émo larmoyant sur son sort.
Il s’instaure ainsi un jeu de dupes entre ces deux personnalités qui sont obligées de coopérer tout en cherchant à s’éliminer l’une l’autre sans éveiller les soupçons de l’autre partie.

Le reste du cast commence aussi enfin à prendre de l’épaisseur avec un Berengetti et une Maggia plus agressifs que précédemment.
Même Marlo Chandler se met à gagner en profondeur.
Si elle ne se départit pas de certains aspects nunuches, elle se trouve enfin dotée d’une certaine intelligence.
L’ambiguïté de ses sentiments tant pour Bruce que pour Joe lui donne aussi enfin une personnalité qui par rebond atténue et enflamme tout à la fois les nouvelles relations compliquées entre Banner et Fixit.
David retrouve aussi au passage son humour qui s’exprime sous diverses facettes.
Il suffit de voir la manière dont les hommes de main de la Maggia agissent et s’expriment dans les premières pages pour voir que le fun recommence à pointer le bout de son nez.
Marlo permet aussi de redonner le sourire au lecteur au travers de quelques répliques et sous-entendus graveleux pas piqués des vers qui permettent à David de prendre sa revanche sur l’éditorial puisque Marlo devait être à l’origine une prostituée mais Marvel trouva cela trop osé.

Ainsi, les passages où elle s’enquiert de la tâche de vin à l’emplacement très… particulier de Fixit et celui où elle propose à mi-mots à sa colocataire un plan à 4 avec Bruce et Joe apportent leur lot de rires bienvenus.
L’humour prend même un tour surréaliste totalement grand guignolesque avec le combat final qui voit tout Las Vegas prit de la fièvre du jeu et parier sur l’issue de l’affrontement entre Hulk et la Maggia.
Le retour de l’humour est encore confirmé avec l’épisode suivant (355), certainement le plus drôle de la période Vegas malgré sa conclusion assez noire.
Le mystérieux personnage se révèle en fait être Glorian, l’apprenti d’une déité cosmique, qui s’est mis en tête de sauver l’âme de Hulk.
Sauf que chez Marvel, ce genre de plan s’effectue à coup de grosses mandales dans la face.

PAD place cette affrontement au sein d’un salon de la vidéo.
Ceci permet au scénariste d’agrémenter les pages de commentaires et blagues autour de la pop culture avec une verve que ne renierait pas le Kevin Smith des grands jours.
Freddy Krueger, Wolverine, les critiques de cinéma Siskel & Herbert ou encore Tim Burton en prennent pour leur grade au travers de séquences et/ou bons mots hilarants.
David trouve même un bel équilibre entre sa fibre humoristique et sa veine la plus sombre et au travers d’une séquence de rêve « claremontienne » qui lui permet au passage d’affirmer une fois de plus l’immaturité adolescente de Fixit.
Néanmoins la chute s’avère dramatique avec un Hulk qui laisse ressortir ses démons et tue Glorian sous les yeux de Marlo, cette dernière prenant enfin conscience du mal contre lequel Banner la mettait en garde.
Les événements s’accélèrent ensuite à une cadence folle et les péripéties tant physiques qu’émotionnelles sont dignes d’un grand huit grâce à l’action d’un mystérieux allié de la Maggia (359-359).
Cet homme s’avère être un fin manipulateur qui orchestre la chute de Fixit avec maestria.

D’un côté, il attise la veine destructrice d’un Hulk errant et désemparé par sa rupture avec Marlo.
Il le pousse de plus en plus à retomber dans la rage qui couve sous les désirs futiles de Hulk en le lançant contre des adversaires de plus en plus puissants.
Il en profite au passage pour torturer l’âme d’un tueur en prenant l’apparence de Fixit avant de transformer le malfrat en démon pour l’envoyer contre le géant gris.
De l’autre côté, il manipule Glorian (remit de ses blessures) en l’envoyant saper la confiance des proches de Fixit jusqu’à ce que dernier provoque sa propre chute.
Joe est finalement renvoyé par Berengetti et perd définitivement l’amour de Marlo.
Le mystérieux homme se révèle finalement être un démon cherchant à récolter les âmes de Hulk et Glorian.
Hulk se reprendra in-extremis et ne réussira à racheter les deux âmes grâce à un dernier pari salvateur.
David fait pour le coup preuve d’une maîtrise admirable en donnant une tension de tous les instants aux mésaventures de son héros que l’on sent glisser peu à peu dans le marécage de sa folie.
L’ambiance devient très noire et ce dès les premières pages où Hulk laisse éclater sa cruauté d’une des manières les plus sadiques qui soit.
Dès lors, Fixit se laisse de plus en plus tomber tant il est plus facile, lorsque tout va mal, de céder à sa part d’ombre plutôt que de se raccrocher aux branches et de lutter.
La lutte prend un tour de plus en plus métaphysique dans ce combat quasi-biblique entre l’ombre et la lumière pour l’âme de Hulk et n’aurait pu avoir lieu ailleurs qu’à Vegas, ce rêve illusoire qui offre tous les vices sur un plateau et où des milliers de personnes convergent tous les jours en espérant qu’un coup de pouce du destin va changer leur vie.

La triche autour du coup de dé final résonne comme une condamnation du hasard et l’affirmation d’une volonté de prendre sa vie en main plutôt que de s’en remettre au destin.
PAD mène donc ainsi habilement réflexion sur la ville de Vegas, les joueurs et sur son héros.
Reste qu’au terme de cette saga, Hulk a tout perdu et que Las Vegas n’était finalement qu’un paradis de chimères, la capitale du vice, l’entre-chambre de l’enfer.
Après un épisode fill-in mais néanmoins important sur lequel on reviendra la prochaine fois, PAD entérine cet état de fait au travers d’un crossover avec Iron-Man (Iron-Man 247 – Hulk 361) qui lui permet de conclure le plot de la Maggia ainsi que la piteuse saga autour de la nouvelle Madame Masque de la team Bob Layton et David Michelinie sur Iron-Man.
Une dernière rencontre avec Marlo (362) et Hulk referme définitivement la page Vegas sur des adieux déchirants jouant une fois de plus la carte de l’inversion des rôles puisque le géant gris prend conscience qu’il ne pourra jamais échapper à sa malédiction et trouver le bonheur avec sa belle.

Du côté du graphisme c’est aussi l’embellie.
Les dessins de Jeff Purves commencent donc à devenir plus agréables à l’oeil, certains défauts disparaissent (les fameux yeux écartés) même si le graphisme ne se départit pas de son étrangeté habituelle et de certains problèmes persistants.
Certes, Marlo reste toujours un beau thon sous son crayon mais mis à part cela, ces épisodes se révèlent bien plus lisibles que les précédents.
Rien qui ne transportera réellement le lecteur mais tout de même de jolis progrès qui permettent de suivre cette saga sans être perturbé par le graphisme.
Il faut dire que même si les encreurs continuent de défiler, certains vont tirer leur épingle du lot et réussir à relever le niveau.
Passons sur Terry Austin (353) qui n’est définitivement pas à sa place.
Ne nous attardons pas trop non plus sur Herb Trimpe (355), qui connaît bien la série pour l’avoir dessinée pendant longtemps.
Sa prestation est…. transparente et ne réhausse pas plus qu’il ne dessert le trait de Purves.
Jim Sanders III rend lui une copie beaucoup plus agréable et sous ses encres (356-357) le résultat prend des allures d’un mix entre Walt Simonson, Frank Miller et Marshall Rogers à leurs touts débuts.
Les décors deviennent plus fouillés et plausibles et les personnages plus fins et plus bondissants.

Mais c’est définitivement la vétérane Marie Severin, une autre ancienne dessinatrice de Hulk, qui réussit à donner un résultat des plus agréables à défaut d’être renversant (354 & 358-359 & 361-362).
Son trait donne clairement un aspect rétro à la série mais son classicisme gomme tous les défauts de Purves, donne du charme aux visages, du détail au décors, un véritable modelé aux personnages….
C’est clairement le meilleur choix pour aider le débutant Purves dans sa tâche et la sympathique Marie continuera encore à officier sur les épisodes suivants.
C’est donc sur une note positive que se referme le long intermède « Joe Fixit » avec une saga qui rattrape complètement et les errances passées.
Rasséréné, PAD a su tirer leçon de ses erreurs et à partir de là, son écriture et ses outils scénaristiques vont connaître une montée en puissance avec chaque nouvel épisode.
C’est ainsi en pleine confiance qu’il décide d’emmener Hulk et Banner dans une nouvelle direction propice à tous les changements, ce dont l’auteur ne se privera pas.
