DC Graphic Novels, Graphic Nuggets, Trans-America-Express

Star Raiders (Eliott S! Maggin / José Luis Garcia-Lopez)

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©DC Comics & Atari Inc.

L’histoire du premier Graphic Novel de DC prend donc sa source en Californie dans un tout autre domaine, celui des jeux vidéos.
Hé oui, l’origine de ce comic book est donc lié au premier géant ayant émergé dans l’industrie vidéoludique : Atari !

L’histoire est connue, même si Atari n’a pas inventé les jeux vidéos, elle a au début des années 70, selon les mots de son fondateur Nolan Bushnell, trouvé comment les commercialiser.
Ayant assisté à la naissance des premiers jeux et consoles, Atari a donné naissance aux bornes d’arcade en ayant l’idée de coupler un ordinateur ou une console à un monnayeur.
Après quelques essais, la compagnie fait soudainement une entrée fracassante et massive dans les bars, drugstores, cafés et autres lieux interlopes enfumés avec l’adaptation arcade du jeu Pong et les bornes deviendront dès lors aussi incontournables que le flipper ou le babyfoot.

Bien vite imitée par une flopée de concurrents, Atari poursuit néanmoins sa croissance et se met à travailler sur un modèle de console permettant d’insérer des cartouches reproduisant ses grands succès et d’importer ainsi l’expérience de l’arcade à la maison.
Reste que le développement coûte cher et que Bushnell doute de la capacité de son entreprise à assumer la production de ce nouveau bébé.
Il décide donc de vendre sa compagnie à Warner Communications, propriétaire entre autre de DC Comics, et se désengagera progressivement des affaires pour créer une nouvelle compagnie non sans avoir mené à terme le projet de l’Atari 2600.

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©Atari Inc.

La fameuse console marque le début du premier âge d’or des jeux vidéos avec des ventes délirantes et la plus forte croissance jamais vue alors pour une industrie.
Pour vous donner une idée de la folie d’alors, il faut savoir qu’Atari représente entre 1977 et 1982 un tiers des revenus annuels du groupe Warner.
Les jeux vidéos sont alors le nouvel El Dorado et une guerre féroce règne entre Atari et ses concurrents.
Afin d’asseoir sa position sur ce marché en plein essor et de continuer à vider le portefeuille des consommateurs, Warner se lance dans une opération trans-médias en rapprochant Atari et DC au sein d’une initiative inédite.

Ainsi, le département de Joe Orlando se voit confier la charge de développer des mini-comics adaptant et développant le background de certains jeux Atari et qui seront offerts avec les cartouches.
On vit ainsi apparaître un comic book de Yar, puis de Defender et même de Centipede.
L’opération dut s’avérer payante car DC et Atari s’engage alors dans un projet plus ambitieux.
Il s’agit dorénavant de prendre vaguement inspiration du jeu Missile Command pour développer une mini-série mettant en scène un groupe de héros à la « Captain Planet ».
Cette dernière est divisée en 5 épisodes offert en compléments de 5 jeux différents et doit donner naissance à terme à un nouveau jeu, Liberator, et un véritable comic book régulier consacré à Atari Force.

Une fois la mini-série parue, les deux compagnies continuent leur frénésie de projets en lançant une autre mini-série de mini-comics Swordquest en 4 numéros, devant accompagner les jeux du même nom, et une troisième en 6 numéros qui adapterait l’un des grands succès d’Atari : Star Raiders.
Afin de mettre en mots et en images cette version d’un des premiers Space-Shooters en vue à la 1ère personne, Joe Orlando se tourne vers un des auteurs alors en vogue chez DC, Elliot S ! Maggin, et un de ses hommes de confiance, José Luis Garcia-Lopez.

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La carrière d’Elliot S ! Maggin débuta sur un coup d’éclat qui tint autant du geste de fierté que d’une confiance en soi quelque peu folle.
Alors étudiant à l’université, il pris assez mal de voir un de ses devoirs n’être noté que B-.
Piqué dans son orgueil, il retravaille son essai sous la forme d’un script de comic book et l’envoie au bureau de DC.
Passant par là, Neal Adams jette un coup d’oeil au script et immédiatement conquis souhaite illustrer cette histoire qu’il soumet à l’editor Julius Schwartz qui, tout aussi impressionné, déclara qu’il n’avait pas vu de script de débutant aussi bon depuis Ray Bradbury.

Maggin commence donc ainsi une relation féconde et durable avec DC Comics au travers de ce qui deviendra Green Lantern 87.
Au fil de la décennie on le voit ainsi écrire un grand nombre de titres, sautant d’une série à l’autre comme une puce et l’on retrouve son nom au sommaire de Green Arrow, Batman Family, Detective Comics ou bien encore la JLA où il aima à se faire plusieurs fois apparaître lui-même sur la Terre Prime (aka la nôtre dans le multivers DC).

Mais surtout, il devient à cette époque l’un des plus prolifiques scénaristes de Superman qu’il met en scène dès 1972 dans un scénario dont l’idée lui fut soufflée par le petit garçon de son vice-président d’université, un certain Jeph Loeb.
Son long travail sur l’Homme d’Acier fut marqué par quelques hauts faits d’armes comme le numéro 300 (source d’inspiration du Red Son de Mark Millar), le 400 et sa pléthore d’invités (Jim Steranko, Frank Miller, Will Eisner… et même notre Moebius national) mais aussi les 2 premiers romans consacrés à Superman et publiés en parallèle des films avec Christopher Reeves.
C’est toutefois son expérience sur un comic book à licence, celui adaptant la série télé « Welcome Back, Kotter », qui vaut à Maggin d’être choisit pour écrire l’adaptation de Star Raiders.

José Luis Garcia-Lopez, pour sa part, est plus ou moins l’homme fort, le pilier du département « projets spéciaux » de Joe Orlando.

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Dessinateur espagnol ayant fait carrière dans son pays natal et en Argentine, Garcia-Lopez émigra aux Etats-Unis dans les années 60 et, après quelques travaux pour Charlton, alla tapé à la porte de DC où il fut recruté par nul autre que Joe Orlando.
Parmi l’infinité de comics qu’il dessina pour la compagnie dans les seventies, nous pouvons citer le fameux crossover Batman-Hulk mais aussi celui entre Superman et Wonder Woman, les premiers numéros de DC Presents qui furent à Superman ce que Marvel Team-Up fut à Spider-Man et les débuts de la séries Hercules Unbound.

Mais c’est toujours dans le giron d’Orlando que le dessinateur accomplit le travail qui imprimera définitivement les consciences et ce jusqu’à nos jours.
En effet, assigné au département des projets spéciaux, JLGL produit au début des années 80 le « Style Guide » à suivre pour représenter tous les personnages DC et envoyé à tous les licenciés officiels souhaitant commercialiser des produits dérivés, guide toujours en vigueur de nos jours et qu’il mit plusieurs fois à jour.
Nulle surprise donc à ce que Garcia-Lopez soit l’homme sélectionné par Orlando pour illustrer la mini-série Star Raiders sauf que…

Sauf que tout s’écroule brusquement en 1983 suite à la fameuse crise des jeux vidéos.
Par la faute d’une concurrence acharnée et d’un modèle économique défaillant, l’industrie du jeu vidéo s’écroule totalement et ne passe pas loin de l’extinction.
Et non, le jeu ET n’est pas responsable de cela contrairement à ce que dit la légende urbaine.
Atari se prend les conséquences de cette crise de plein fouet, ainsi qu’une crapoteuse histoire de délit d’initié, et doit opérer d’importantes restructurations pour espérer survivre.

En conséquence de quoi, un grand nombre de jeux sont mis en stand-by voire tout simplement et purement abandonnés.
Dommage collatéral, le deal avec DC comics est lui aussi abandonné et les différents comics Atari en cours de production finissent dans un placard.
Au rang des pertes, on trouve ainsi les deux premiers épisodes de Star Raiders, 40 pages entièrement terminées sur une mini-série qui devait en compter 120 au total.

Devant d’un côté lancer une collection sans avoir de projet prêt sous le coude pour la nouvelle collection DC Graphic Novels et ayant de l’autre quelques œuvres déjà produites (au moins partiellement) pour une gamme défunte, Joe Orlando décide de faire dans le bricolage et de recycler certaines histoires originellement produites pour Atari.
L’avantage de cette décision consiste surtout à ne pas prendre de retard sur le planning d’impression des DCGN étant donné que les éditeurs de l’époque devaient payer de lourdes pénalités aux imprimeurs pour tout comic book en retard.
Orlando demande ainsi à Maggin de retravailler son histoire pour pouvoir la conclure sur 20 pages et envoie le script à Garcia-Lopez pour un résultat… qui reflète cette production cahotique.

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©DC Comics & Atari Inc.

« Dans le futur, la race extra-terrestre des Zylons est en passe de conquérir l’intégralité de la galaxie.
Deux résistants humains font alors la rencontre du seul rescapé d’une civilisation disparue.
Ce dernier décide de sortir de son exil et avec l’aide de ses nouveaux amis remet en état le légendaire Star Raider, vaisseau qui pourrait bien être la clef pour vaincre les Zylons. »

Autant dire que pour un début, la collection DC Graphic Novel ne part pas du meilleur pied, la faute aux conditions de travail décrites ci-avant.
Forcément, c’est le script même de Maggin qui en fait les frais et l’histoire contée ici est terriblement bancale et quelque peu expédiée.
Bon, énumérons donc d’abord les points positifs avant d’aborder ceux qui coincent.

L’inspiration derrière ce Star Raiders est évidente et logique considérant que nous sommes alors en pleine sortie du Retour du Jedi.
Clairement, tout ici emprunte beaucoup à Star Wars de l’empire dominant la galaxie à certains pouvoirs mystiques en passant par les dogfights, le pilote émérite et grande gueule, la femme qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et capable de remettre les mecs à leur place, une place de marché très Mos Esley, les extra-terrestres et sidekicks rigolos et le vieux sage détenteur d’un savoir oublié.

Ces influences sont cependant bien digérés et si le modèle se voit, il n’est cependant ni envahissant ni écrasant pour Star Raiders et permet surtout de donner un background bienvenu à un jeu qui en manquait singulièrement, tare bien excusable de la plupart des jeux-vidéos de l’époque.
On sourira aussi face au nom des antagonistes qui renvoie bien évidemment aux méchants de la série TV Battlestar Galactica, les Cylons, lancée dans la foulée de Star Wars afin de profiter du renouveau du Space Opera.

Nulle surprise à cela puisque Atari Force s’inspirait aussi partiellement de cette série TV afin de conter les aventures d’un groupe d’explorateurs spatiaux à la recherche d’un refuge pour une humanité au bord de l’extinction.
Les liens avec Atari Force sont d’ailleurs exploités de manière aussi fine que discrète puisque l’on retrouve ici la race extra-terrestre des Hukkas et qu’il est sous-entendu que le vieux sage de l’histoire soit un ancien membre de la Force ayant survécu jusqu’à ce futur lointain.
De là à imaginer que le vaisseau Star Raider soit une version modifié du vaisseau de l’Atari Force et que ce futur soit l’ébauche d’un univers partagé mort-né, il n’y a qu’un pas.

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©DC Comics & Atari Inc.

Malgré cela, l’histoire souffre d’un énorme déséquilibre dans son rythme.
Ainsi, si la première partie de l’histoire prend son temps, pose certaines bases et réussit à piquer l’intérêt du lecteur quand à certains secrets disséminés au fil des pages, tout s’écroule dans la seconde partie.
A force de précipitation, la seconde moitié devient quelque peu incohérente avec force de deus ex-machina sortis du chapeau du scénariste pour mieux en être escamotés par d’autres.
Le tout donne la désagréable impression de voir Maggin changer son fusil d’épaule toutes les 5 pages sans chercher à poser ou développer une idée forte qui donnerait une réelle direction, un réel angle à son histoire.

Ainsi, on nous fait d’abord croire que tout tient sur la personne du vieux sage et de son mythique vaisseau ainsi que de sa connaissance des Cylons.
Sauf que soudainement le focus se retrouve braqué sur le couple de pilotes qui acquièrent un lien télépathique entre eux et avec le Star Raider, leur permettant de prendre le dessus sur les Cylons lors de leurs combats spatiaux.
Et puis finalement non, on repart sur l’idée de recrutement et de mise sur pied d’une résistance organisée par le vieux sage.
Sauf que finalement non, puisque la conclusion et la victoire viendront d’une nouvelle recrue qui se retrouve soudainement au centre de toutes les attentions du scénariste.Ce jeune extra-terrestre sait tout sur tout des Cylons sans trop savoir pourquoi, vole le vaisseau, défait l’empire Cylon en un tournemain et tue le leader de ses derniers qui s’avérait en fait un être scientifique de sa propre race (celle du jeunot).

Un sacré gloubi-boulga en somme et qui, outre la succession d’événements téléphonés, impacte la caractérisation des personnages qui se retrouve tracée à très grands traits.
En s’en tenant à l’aspect de leur caractère le plus prégnant, le plus pitchable donc, les personnages de Maggin en deviennent même quelque peu irritants tant ils n’ont aucune nuance et l’on ne développe aucune empathie pour eux : le sage bougon est tellement bougon qu’on a envie de lui faire un gros doigt, le pilote grande gueule l’ouvre tellement sans réfléchir qu’on a envie de lui donner un bourre-pif tandis que la recrue enthousiaste déborde de tellement d’entrain positiviste béat qu’on a envie de le bâillonner au bout de trois mots.
Une histoire qui serait donc franchement oubliable si elle ne bénéficiait pas des dessins du toujours excellent Garcia-Lopez.

JLGL est tout simplement un maître de la bande-dessinée et produit des pages remarquables de clarté narrative aussi faussement limpides que véritablement complexes avec un usage du mouvement de ses personnages qui donne un dynamisme de tous les instants tout en guidant l’oeil du lecteur au travers de la page.
Les personnages ne sont jamais figés et semblent toujours être pris sur le vif tout en bénéficiant d’une sensualité et d’une expressivité qui donne envie de nous arrêter pour admirer chaque case alors que tout concourt à nous faire défiler une action trépidante.

On peut aussi relever certaines coquetteries dans la construction de ses planches afin de permettre de retranscrire l’univers vidéoludique qu’il dépeint ici comme cet écran de commande en splash-page qui ouvre le récit et renvoie clairement à une borne d’arcade.
De même, plusieurs séquences spatiales convoquent des cases ayant des formes géométriques (losanges, hexagones…) qui rappelle la 3D vectorielle et les fameux graphismes en « fil de fer » du jeu vidéo Star Wars.

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©DC Comics & Atari Inc.

Dernière petite originalité, à l’exception des séquences citées au-dessus, JLGL inverse les conventions avec des cases ayant des bordures arrondis donnant l’impression de suivre l’histoire sur un écran comme si on jouait à un jeu Atari.
Les rectangles et carrés en usage dans la bande-dessinée sont pour leur part utilisés pour les séquences de flashbacks.
On émettra cependant un léger bémol concernant la colorisation.

Si le dessinateur peint ici directement sur ses planches et que le rendu est fort agréable la plupart du temps, il prend parfois le parti de certaines couleurs très « flashy » lors de certaines séquences.
Si l’intention est de retranscrire les couleurs de jeux-vidéos d’alors, le pari est réussi mais annihile quelque peu le trait et fait ressembler quelques cases (peu, heureusement)  à un véritable jeu Atari ; ce qui est certes intéressant mais moyen pour le confort de lecture.

Dernière petite remarque, l’excellence habituelle du lettrage élégant, fin et serré de Tom Orzechowski, au nom malheureusement écorché dans les crédits, lettreur habituel de Chris Claremont.
Comme à son habitude, son travail si particulier réhausse et confère une fluidité de lecture à des textes pourtant très denses.

Un premier Graphic Novel qui peut donc difficilement rivaliser avec The Death of Captain Marvel de la maison d’en face.
Entre des personnages inconnus du grand public et une histoire réécrite à la va-vite et quelque peu oubliable, ce n’est clairement pas le meilleur des départs pour concurrencer les MGNs.
Reste le travail de Jose Luis Garcia-Lopez qui ravira cependant l’oeil des esthètes.

Un comic book qui se regarde donc plus qu’il ne se lit et qui vaut surtout pour son statut de curiosité mais qui bénéficia néanmoins d’une traduction chez Arédit/Artima sous le titre « Les Baroudeurs de l’Espace ».

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©DC Comics & Atari Inc.

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