Graphic Nuggets, Marvel Graphic Novels, Trans-America-Express

Heartburst (Rick Veitch)

Heartburst cover
©Rick Veitch

Ce Marvel Graphic Novel marque, plus encore que les autres, une rupture dans une collection au final totalement hétéroclite et lui permet de franchir un cran supérieur dans la qualité.

C’est une rupture à plus d’un titre.
Premièrement, alors que les autres albums de la collection étaient jusqu’à présent produits par des artistes stars et/ou connus pour leur longue expérience dans le médium (Chris Claremont, Jim Starlin, Dave Cockrum, John Byrne, Don McGregor, Roy Thomas, Paul Craig Russell, Walt Simonson…), ce graphic novel est l’oeuvre d’un artiste assez jeune, n’ayant pour l’instant jamais posé le pied dans les univers super-héroïques et qui est pourtant en train de s’imposer auprès de ses pairs d’une manière fulgurante : Rick Veitch !!

Certes, notre homme Veitch tenta une première fois dans le milieu des comix undergrounds aux alentours de 1972 mais échoua rapidement.
Prenant conscience de ses lacunes, Rick Veitch décide de travailler plus sérieusement son dessin et saisit sa première opportunité en s’inscrivant à la toute nouvelle Art School fondée par le regretté Joe Kubert.
Il fait ainsi partie de la première promotion de l’école Kubert en 1978 en compagnie de ses amis et futurs partenaires sur plusieurs projets, Steve Bissette et John Totleben.
C’est d’ailleurs avec Bissette qu’il produit sa première œuvre d’importance.
Le sympathique Rick ne fait d’ailleurs pas les choses à moitié puisqu’il est carrément engagé par Heavy Metal pour dessiner (en compagnie de Bissette donc, sur un scénario d’ Allan Asherman) l’adaptation du 1941 de Steven Spielberg.

Rick Veitch

A l’époque, suite au succès de Star Wars et de son adaptation qui tira Marvel d’une récession financière, les éditeurs signent des contrats à tout va avec Hollywood pour transposer sous forme de comic book n’importe quel film afin d’attirer les spectateurs vers leurs petits illustrés.
Malheureusement, sur ce coup Heavy Metal n’a pas le nez fin car la tentative de Spielberg de mêler les genres ne semble pas du goût de tous et sa « screwball comedy » guerrière à gros budget s’avère un échec au box-office (à la même époque, Martin Scorsese connaît le même genre de déboires avec son « drame musical » New York, New York).
Néanmoins, cet album est de haute volée (si vous le trouvez, achetez-le direct, c’est une pépite) et permet à Bissette et Veitch de se faire remarquer.
Il faut dire que les deux hommes ont totalement compris le côté délirant du film et se sont appliqués à en transposer l’esprit avec les codes de la bande-dessinée en s’inspirant du MAD d’Harvey Kurtzman.

Archie Goodwin, qui a toujours l’oeil dès qu’il est question de talent, adore l’album et débauche immédiatement Rick Veitch en le prenant sous son aile au sein du staff du magazine anthologique Epic Illustrated.
Auteur complet s’occupant aussi bien du scénario, du dessin, de l’encrage ou des couleurs, Veitch devient l’un des contributeurs les plus réguliers de la revue tout en faisant preuve d’un talent réellement époustouflant.
Ses prestations au sein du magazine éclipsent plusieurs fois celui de camarades au nom alors bien plus prestigieux que lui tant il se plaît à alterner les genres, les thèmes et les graphismes.
Il produit ainsi pour Epic nombre de petites histoires et surtout Abraxas and the Earthman, serial sur plusieurs numéros qui l’impose définitivement comme un des piliers du label.

Fort de ce statut, Rick Veitch reçoit donc l’honneur de produire un Marvel Graphic Novel qu’il conçoit une fois de plus de bout en bout en assumant toutes les charges de la chaîne artistique.
Il se lance donc dans ce Heartburst qui tranche singulièrement d’avec les MGNs précédents.
Clairement, c’est l’album (à ce moment là) qui se rapproche le plus d’un ton à la Heavy Metal et de tout un pan de la bande-dessinée européenne de science-fiction.
Autant dire qu’après les adaptations littéraires (Elric), les récits de slips aussi bons et originaux soient-ils (X-Men, Captain Marvel), les résurrections de vieilles gloires des seventies (Killraven), les trucs qui n’avaient rien à faire là (New Mutants) ou les tenants d’une S-F très classique (pour l’époque) ou sous influence Star Wars (Dreadstar, Futurians, Starslammers, Super-Boxers), c’est un choc pour le lecteur.
A cela, il faut ajouter une maturité du récit qui place soudainement la barre encore plus haut que The Death of Captain Marvel ou God Loves, Man Kills.
Et par maturité, on ne parle pas de violence (inexistante ici) ou de sexe (bien qu’il soit un des thèmes du récit) mais d’intelligence, de poésie, de sensibilité…

Si l’histoire commence de façon un peu abrupte par une séquence onirique (au premier abord) et cryptique avant de rentrer directement dans le vif de l’histoire (in media res), elle pique directement l’intérêt du lecteur qui voit les différentes pièces du récit se mettre en place de manière naturelle et réussit à ne jamais le perdre devant l’afflux d’informations données tout au long du récit.
Pareillement, le récit adopte plusieurs tours et détours propres à faire rebondir l’histoire dans des directions (plus ou moins) inattendues mais réussit à garder une clarté tout du long, la décomposition de l’album en trois chapitres (Heartbeat, Heartrythm et Hearburst) permettant d’apporter des respirations nécessaires dans cette cinquantaine de pages bien remplies qu’on a pourtant du mal à cesser de lire tant le tout est passionnant.

Heartburst 1.jpg
©Rick Veitch

« Sunoco Firestone, neveu de l’inquisiteur Xerox, est poursuivi par des rêves étranges le confrontant à une mystérieuse jeune femme, Rimbaud, plongée dans un puit.
Les Firestones font partie des descendants d’humains ayant colonisés la planète Epsilon Bootis il y a bien longtemps.
Pour cela les colons ont pris le pouvoir sur les indigènes de le planète, les Ploos, et entretiennent un système castrateur prônant la stricte séparation entre les deux races.
Il faut dire que le pouvoir est entre les mains des inquisiteurs, aidés dans leur tâche par la police génétique.
Les inquisiteurs ne pouvant joindre la Terre en sont réduit à interpréter les retransmissions du Sponsor (de vieilles émissions TV des années 50) afin de décider de ce qui est juste.

Un jour donc, Sunoco accompagne son oncle pour interroger une détenue prétendant venir de la Terre et affirmant que les colons font fausse route et qu’ils risquent de provoquer un désastre, détenue qui se trouve être… la femme des rêves de Sunoco.

Troublé par cette rencontre, il erre la nuit tombée avec un ami et assiste à un spectacle de cirque et c’est là… que l’amour apparaît devant ses yeux en la personne d’une sensuelle ploo, Maia.
Le véritable amour, le coup de foudre au premier regard, la rencontre de l’âme sœur.
Bien que Maia se refuse d’abord à lui, elle cède finalement et les deux amants partagent une nuit ensemble.
Mais la ploo craint les réactions des autorités, sachant très bien que le blâme de cette hérésie retombera sur elle, et met un terme à leur relation.

Bien décidé à ne pas la perdre, Sunoco fuit et rejoint la troupe du cirque où il trouve enfin un sens à sa vie en devenant clown.
Les deux amants vivent ainsi quelques mois paisibles jusqu’au jour où Maia annonce qu’elle est enceinte.

En proie au doute et à la peur, Sunoco fait de plus en plus de rêves à propos du mystérieux puit et en fait part à sa compagne.
Intriguée, celle-ci maquille son amant en ploo et le guide jusqu’à un temple où se trouve un mystérieux puit semblable à celui de ses rêves.
Pensant que Sunoco possède le don du Heartburst, elle tente de lui faire plonger son regard à l’intérieur du puit mais Sunoco panique et attire l’attention d’une patrouille de la police génétique sur eux.
Si Maia réussit à s’enfuir durant la mêlée, Sunoco est capturé et renvoyé auprès de son oncle qui le condamne à la prison à vie pour son crime d’union contre-nature.

Pourrissant au fond de sa cellule, Sunoco subit des rêves de plus en plus intenses et cauchemardesques à propos du puit. »

Dense, n’est-ce pas ?
Et ce rapide résumé ne concerne que le premier chapitre.

Heartburst 2
©Rick Veitch

Tout le récit est placé sous le signe de l’amour et de la tolérance.
Rick Veitch livre ici un appel très poétique à la primauté des sentiments sur l’esprit en mettant dos à dos la science et la foi.
Et pourtant, le résultat ne sonne jamais naïf ou « hippisant » tant il traite tout cela avec parcimonie, douceur, distance, évitant ainsi les pièges des donneurs de leçons par trop volubiles et assommants.
Adoptant le partie de la science-fiction allégorique (existe t’il une autre approche de la science-fiction d’ailleurs?), l’auteur nous plonge dans une spirale infinie de réflexions faisant ressurgir les souvenirs collectifs et intimes, finalement les plus universels de tous.
D’une part, tout nous renvoie à la société américaine mais plus majoritairement à la société occidentale dans son ensemble et à son histoire où la pensée a par trop souvent assujetti les sentiments et le corps à l’esprit; que cette dernière prenne la forme de la religion, la science, la politique, les convenances sociales…

Bien au contraire, le héros de Veitch ne nie ni son corps ni son cœur et ce sont finalement ceux-ci qui guident l’évolution de son esprit et lui permettent d’atteindre une véritable sagesse.
C’est au travers de ses expériences intimes (les rêves, la peur, le désir, l’amour, la paternité..) que Sunoco se réalise, son esprit ne servant qu’à articuler toutes ses émotions ensemble sans les nier.
D’ailleurs, cette figure du héros est tout bonnement originale pour l’époque et va à l’encontre des récits initiatiques habituels.
Sunoco est un rêveur, une homme qui ne brille ni par son intelligence ni par sa force, voire même un homme assez lâche, un véritable anonyme.
Et pourtant, Veitch arrive à la rendre attachant (le fait que le héros soit le narrateur aide aussi à cela) et se joue même des attentes du lecteur en confortant son héros dans ses caractéristiques.
Ainsi, Sunoco n’est définitivement ni un Conan ni un Red Richards ni même un Captain America et pourtant c’est sa faiblesse même qui le rend attachant; c’est la pureté de ses émotions qui le rend finalement proche du lecteur qu’il renvoie à ses propres interrogations.

Tout le récit oscille entre ces deux extrêmes que sont l’intime et le collectif et même si l’histoire acquiert une ampleur cosmique au fur et à mesure de son développement, tout semble baigner dans le même caractère ouaté, éthéré, qui constitue la substance des rêves.
Tant au niveau du récit, des thèmes, des messages ou du dessin on navigue déjà dans une ambiance proche de celle de Swamp Thing (moins portée sur l’horreur quand même).
Certes, quelques lecteurs pourront frémir à la vue des nombreuses bulles parsemant les pages mais l’ensemble est d’une fluidité absolue et nous permet de profiter de la profusion généreuse des multiples idées sociales, politiques, oniriques, amoureuses ou de pure science-fiction de son auteur qui nous offre parfois des moments de pure poésie gratuite mais proprement émouvante.
Nous restons volontairement mystérieux sur cet album car le détailler en long et en large retirerait une grande partie du plaisir de lire cette histoire qui se vit de l’intérieur et si cette dernière ne fait pas vibrer une corde en vous ce serait bien dommage.

Le dessin est à l’avenant du scénario et tranche tout autant des standards américains de l’époque.
Soucieux de ne pas desservir son histoire, Veitch délaisse la pyrotechnie et adopte au contraire une mise en page des plus classiques afin de garder une totale clarté à son récit très dense et qui par sa science du découpage semble s’étirer paisiblement et atteindre une caractère assez aérien.
Veitch se focalise principalement sur ses personnages et leurs expressions pour retranscrire les émotions le plus justement possible puisque celles-ci sont le cœur de son récit.
Pour autant, l’auteur ne bâcle pas ses décors et réussit à donner vie à cette planète mais il n’oublie justement pas que ce ne sont que des décors.
Ne faisant que peu de place aux découpages psychédéliques, c’est par son utilisation des couleurs et par la présence incongrue (mais fonctionnant paradoxalement parfaitement) de photo-montages discrets que Rick Veitch réussit à donner ce caractère onirique si particulier à son graphic novel.
Passant tour à tour entre des tons très vifs (même pour des comics) jusqu’à la saturation, des teintes pastels limites enfantines, des photo-montages recolorisés ou des plages de couleurs tendant vers le réalisme, l’album déconcerte au premier abord.
Mais une fois rentré dans l’histoire, cette colorisation lui donne justement cet aspect si particulier de rêverie éveillée.

Réellement, ces quelques lignes ne peuvent rendre justice à cet album et nous ne pouvons que vous encourager à vous plonger dans cet ouvrage toujours inédit en français.
Pour cela, vous pouvez rechercher le MGN original ou sinon vous diriger vers la réédition orchestrée par la compagnie de Rick Veitch, King Hell.
Cette dernière a republié Heartburst en TPB (mais au format comic book normal) accompagné de trois autres récits sur les mêmes thèmes de l’amour et de la tolérance dont le fameux Mirror of Love écrit en compagnie d’Alan Moore et Steve Bissette (et qu’on pourra donc s’amuser à comparer à la version du même Moore servi par Jose Villarrubia).

Dans tous les cas, et que vous accrochiez ou pas, ce Marvel Graphic Novel apparaît alors comme l’album le plus original publié à ce moment là dans la collection qui continuera dans cette voie avec l’album suivant produit par l’un des auteurs les plus fous des années 70, Steve Gerber.

heartburst3
©Rick Veitch

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