DC Graphic Novels, Graphic Nuggets, Trans-America-Express

New Gods: The Hunger Dogs I (Jack Kirby)

New Gods cover
©DC Comics

Et nous voici donc arrivés à ce très gros morceau constituant une borne dans cette collection DC Graphic Novels, dans la publication des New Gods et dans la carrière de l’immense Jack Kirby.

Nous ne ferons pas ici de résumé exhaustif du parcours du King des comics et vous renvoyons pour cela à d’excellent ouvrages comme la somme écrite par Jean Depelley (Jack Kirby, le super-héros de la bande dessinée) ou bien celui de Mark Evanier (Jack Kirby, King of Comics), sources principales dans la construction de cette partie de l’article que nous vous encourageons fortement à lire si vous souhaitez en savoir plus.
Néanmoins, il convient ici de revenir sur quelques points concernant la genèse très chaotique de ce projet censé conclure la saga du 4th World.

L’histoire est connue.
Après son départ fracassant de Marvel suite à des différents créatifs, un manque de reconnaissance et des promesses artistiques et financières non tenues, Jack Kirby retourne chez DC suite à la proposition du nouvel editor in chief, Carmine Infantino, de lui laisser carte blanche en tant que scénariste/dessinateur/editor sur un groupe de titres de son choix.
C’est ainsi que Kirby reprend des idées qu’il avait développé pour la série Thor et qui s’étaient heurtées au refus du Dentier en Chef.
Malgré cela, le King avait continué de travailler dans son coin sur sa grande idée qu’il offre ainsi à DC en lançant les différents titres affiliés au 4th World.

Avec ce nouvel univers de titres interconnectés, Jack Kirby pose une création très forte qui retranscrit d’une certaine manière le passage du polythéisme nordique ou grecque au manichéisme des religions monothéistes.
Apokolips et New Genesis peuvent ainsi être vues comme des réinterprétations du Ciel et de l’Enfer et l’artiste n’hésite pas à faire appel à son héritage judaïque pour nourrir son oeuvre.
Kirby y injecte cependant d’autres composantes qui le fascine ou surgies de son passé et son présent, que cela soit la fascination pour la science-fiction, les ravages des régimes totalitaires ou le propre conflit qui l’oppose alors à son fils.
La saga est censée se dérouler sur plusieurs années et, selon les proches collaborateurs de Kirby comme Mark Evanier, doit s’achever sur la destruction mutuelle d’Orion et de son père Darkseid.

Even Gods must Die
©DC Comics

Las, les ventes ne sont pas à la hauteur des espérances de DC (même si des analyses rétrospectives ont depuis démontré que le titre ne se vendait pas si mal pour l’époque) et les titres sont supprimés les uns après les autres.
Cependant, à l’instar d’un Velvet Underground, le 4th World a marqué les consciences de tous ceux qui l’ont lu et fera petit à petit son chemin dans l’imaginaire populaire jusqu’à acquérir une place de choix dans l’univers DC.

Faisons maintenant un saut d’une dizaine d’années jusqu’au début des années 80.
A cette époque, les New Gods sont loin derrière Kirby et ce dernier s’est éloigné des 2 majors.
Il partage désormais son temps entre un travail de designer pour les studios d’animation et la production de certains des premiers comics indépendants dont son Captain Victory qui devait à l’origine devenir le fils d’Orion.
Il dessine aussi à cette époque une sanglante parodie d’Howard the Duck avec le créateur de ce dernier, Steve Gerber, qui se bat pour faire reconnaître ses droits sur le personnage face à Marvel.

En effet, Jack Kirby est dorénavant lui aussi en guerre ouverte avec Marvel, principalement concernant la restitution de ses planches originales dans son cas.
La compagnie ne veut pas céder un pouce de terrain de peur que ces planches puissent servir d’outil à Kirby pour réclamer une part du copyright des personnages qu’il a créé.
Le conflit s’envenime et l’affaire Kirby sera le grand feuilleton qui agitera la décennie 80 durant laquelle le King recevra un immense soutien de l’ensemble de la profession et du fandom et qui débouchera sur des changements ô combien nécessaires dans les pratiques des deux majors.

Face à tout ce remous, la nouvelle présidente de DC, Jenette Kahn, décide d’adopter un comportement éthique envers Jack Kirby.
L’initiative est fortement appuyée par l’editor et vice-président éxécutif du groupe, Paul Levitz, immense fan du 4th World et qui utilisa Darkseid dans la Great Darkness Saga qu’il écrivit avec Keith Giffen.
Bien évidemment, tout cela n’est pas innocent puisqu’en se démarquant de Marvel, DC pourra redorer son image auprès d’un public soutenant le combat de l’artiste mais aussi jouer un vilain tour à son plus gros concurrent sur le marché tout en évitant de se retrouver elle-même prise dans la tempête.

Néanmoins, quelles que soient les raisons de DC, saluons leur réactivité dans cette affaire.
Levitz et Kahn concoctent donc leurs plans durant l’année 82 en décidant de s’appuyer sur un certain nombre de deals juteux  qu’ils sont alors en passe de conclure.
En effet, DC est alors en négociation avec Hanna Barbera pour produire une série d’animation, Super Friends : The Legendary Super Powers Show, qui est plus ou moins une adaptation officieuse de la JLA.

Super Powers
©DC Comics

En parallèle, la compagnie fait monter les enchères auprès du fabricant Kenner pour sortir une ligne de jouets en lien avec le futur dessin-animé.
Problème, le studio rechigne un peu quant au pool de vilains proposés (Luthor, le Joker, le Pingouin..) qu’il considère comme pas vraiment à la hauteur face aux héros.
Coup de génie, Paul Levitz impose Darkseid et ses lieutenants afin de débloquer la situation et décide de procéder à une réédition en 6 numéros (2 épisodes par comic book) des New Gods afin d’accompagner le dessin-animé et la ligne de jouets.

Peu avant les fêtes de fin d’année, Kahn et Levitz débarquent donc en Californie chez les Kirby et présentent leur proposition au King.
Bien que les personnages du 4th World furent créés avant la législation sur l’intéressement des auteurs et alors que rien ne l’y oblige, DC décide d’appliquer cette dernière sur les créations de Kirby qui touchera donc un pourcentage sur les bénéfices de la réédition des New Gods, le cartoon et les jouets.
Seule condition à cela, Jack doit signer un contrat l’engageant à redessiner ses créations afin qu’elles puissent être considérées comme postérieures à la nouvelle législation.
Bonus non négligeable, Kahn réussit à imposer Kirby comme designer sur toute la ligne de jouets Kenner, véhicules inclus.
Avec cet accord, le King gagnera plus d’argent que tout ce que Marvel lui a jamais versé pour ses créations.

Quelques mois plus tard, Jenette Kahn revient vers Kirby et lui propose de réaliser son rêve et d’enfin conclure sa légendaire saga dans le dernier tome des rééditions.
Et c’est là que les choses vont commencer à quelque peu se compliquer puisque la production du point final à la tétralogie du 4th World va subir de multiples retouches autant par la faute de DC et d’Hanna-Barbera qu’à cause des atermoiements de Kirby.
Jack produit tout d’abord un épisode de 23 pages devant prendre place dans le 6ème numéro des rééditions.
Cette histoire, On the Road to Armagetto, conte le dernier combat d’Orion et Darkseid pour un final se voulant apocalyptique et désenchanté.
Darkseid est tué des mains d’Orion qui bascule du côté obscur et devient le nouveau souverain d’Apokolips avant de mourir à son tour.
Darkseid n’est plus qu’un fantôme hantant les allées de son ancien royaume tandis que le jeune Esak, censé représenté la nouvelle génération de New Gods, est tué aussi dans le conflit.

armagetto1
©DC Comics

Ayant vent de ces projets, Hanna-Barbera et Kenner entrent en scène et protestent de toutes leurs forces, refusant impérativement qu’on tue les deux personnages pour lesquels ils viennent de signer (n’oublions pas que nous sommes là avant l’ère des résurrections à répétition dans les comics).
Après quelques engueulades entre les différentes parties concernées, il est décidé que le récit « Himon » autrefois publié dans Mister Miracle prendra dorénavant la place d’Armagetto dans l’ultime volume des rééditions.
En échange, DC propose à Kirby d’écrire sa conclusion sous la supervision de Joe Orlando dans un Graphic Novel d’une soixantaine de pages.
Le King accepte et planche sur une réécriture de son histoire en y incluant désormais Mister Miracle, Big Barda, Himon et Bekka.

Croulant sous ses différents travaux, il décide, sur la suggestion de Len Wein, de recycler les pages d’Armagetto dans ce The Hunger Dogs et dont la sortie est repoussée à l’année suivante.
La charge de travail de Kirby continue néanmoins d’augmenter puisqu’il doit dorénavant dessiner les couvertures des rééditions des New Gods mais qu’il s’engage aussi pour 2 mini-séries Super Powers (une seulement scénarisée et une autre dessinée) devant entourer la sortie de Hunger Dogs.
Il se met aussi ensuite à travailler comme story-boarder et designer sur la seconde saison du dessin-animé.

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©DC Comics

Autant dire que dans ce contexte, les idées s’entrechoquent dans la tête d’un Jack Kirby qui ne sais justement plus où en donner.
Histoire d’encore plus embrouiller les choses, DC revient au dernier moment sur sa décision et on demande à nouveau au King d’écrire l’ultime numéro des rééditions des New Gods dans un épisode de 48 pages, Even the Gods Must Die, qui servira de prologue au graphic novel.
De plus, toujours sous la pression du studio et de Kenner, Joe Orlando pousse Kirby à faire de son DCGN une conclusion ouverte sur de possibles suites.

Par la force des choses, la chronologie se construit telle quelle : Even the Gods Must Die – la 1ère mini-série Super Powers – The Hunger Dogs – la seconde mini Super Powers.
Plusieurs fois annoncé, ce DC Graphic Novel faisant exception à la règle de la collection de ne mettre en scène que des personnages nouveaux ne paraît finalement qu’en 1985 avec une nouvelle fois de profondes restructurations de l’histoire; chose que nous verrons dans la seconde partie de l’article qui analysera aussi cette oeuvre singulière.

armagetto4
©DC Comics

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