
« Entre la chute de l’Atlantide et la fondation de Jericho, l’Humanité vécut un âge sombre. Quatre sorciers nommés les Dark Lords prirent le pouvoir et imposèrent un régime de servitude à la population.
Mais aucun pouvoir n’est éternel et alors que l’ère glaciaire approche et que les sorciers entament le crépuscule de leurs vies, les tribus barbares du nord marchent et pillent le royaume pour renverser les Dark Lords.
Affaiblis, les sorciers se mettent à sacrifier leurs esclaves en masse afin de restaurer leurs pouvoirs mais échouent, leurs dieux ayant besoin d’âmes combatives et refusant la mort.
Les Dark Lords utilisent alors leurs derniers pouvoirs pour capturer le chef des barbares, Ath’Agaar, et sa compagne Ren.
Ils commencent alors à torturer Ren jusqu’à la mort sous les yeux de son amant, ce qui ne fait qu’augmenter la fureur de ce dernier, avant de faire de même avec le barbare durant trois jours et trois nuits.
Rajeunis, les Dark Lords achèvent Ath’Agaar mais la rage de ce dernier est telle que, même mort, son corps continue à se débattre avec rage.
Utilisant un dernier sort pour tuer le malheureux, les Dark Lords provoquent inconsciemment leur perte dans une explosion qui détruit toute vie sur leur royaume. »
Mais ce résumé n’est que le début d’un conflit qui embrasera le temps et l’espace dans son ensemble jusqu’à venir sur Terre à la fin du XXème siècle.

Clairement, on voit très bien tout ce qui vient d’Hawkman dans cette nouvelle version : civilisations extra-terrestres, héros venu du fond des temps, cycle éternel de morts et de résurrections, malédiction et amour contrarié…
Il ne reste plus qu’à ajouter une paire d’ailes au héros et l’on est chez DC, qui ne se privera d’ailleurs pas de recycler le pitch de Gerber dans sa relance post-Crisis.
Mais pour le reste, on est dans du Gerber pur jus et assez déchaîné pour le coup.
La violence et le sexe sont graphiques et leurs rapports intimes (héhé) sont abordés frontalement par l’auteur qui brasse en une quarantaine de pages étude de société, allégorie, réflexions philosophico-mystiques, satire… dans un univers où rien ni personne n’est tout blanc ou tout noir.
Le récit n’est pas parfait mais comme toujours avec Gerber, c’est diablement intéressant et alterne entre classicisme, détournement des codes et idées totalement délirantes.
Le problème vient d’un certain déséquilibre entre la partie « barbare et science-fictionnesque » et la partie « moderne et réaliste » de l’histoire.
Gerber passe plus de la moitié du récit sur la première partie.
Du coup, le reste du Graphic Novel se trouve singulièrement compacté jusqu’à aboutir à des ellipses un peu abruptes sur les toutes dernières pages et qui enlèvent de la force à la conclusion de l’album.
Toute la première partie sonne comme une mise à mort de l’heroic fantasy howardienne qui fit les beaux jours des comics dans les seventies.
Cela est flagrant tant au niveau de la période traitée, qui correspond à l’âge Hyborien, que de la torture du héros, véritable clone de Conan.
Tout cela sonne comme un message adressé aux autres auteurs et leur enjoignant de tourner la page des années 70.
Mais plus encore que cela, cette partie est une longue allégorie des rapports entre auteurs et éditeurs dans le monde des comic books mainstreams avec ses « sorciers » recrutant du jeune sang et les pressant comme des citrons jusqu’à les laisser exsangues. Et si ces derniers se rebellent, ils ne peuvent mettre à bas les employeurs sans être entraînés dans leur chute.
Le scénariste semble ici nous narrer sa propre relation avec Marvel sur le mode de la parabole, le ton désabusé du récit montrant bien comme le procès pour la propriété d’Howard l’a marqué.
Tout est noir, très noir et seule la conclusion vient briser cette chape de plomb avec une ironie et un ridicule maîtrisé typiques de l’auteur.
Cette conclusion fait à la fois rire aux éclats et nous laisse bien pensif quand à l’étrangeté de la vie.
Vie qui se trouve au centre du propos de la seconde partie avec un voyage au confins du temps et de l’espace qui ne dépareillerait pas dans la séquence de fin du 2001, l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick.
Levant le voile sur ce qui se cache derrière les trivialités de l’existence et sur les liens cachés de l’univers, Gerber navigue dans des eaux philosophiques et mystiques fascinantes mais qui pourront laisser de glace les lecteurs les plus cartésiens.
Au passage, une certaine double page présentant une chapelet de réalités enfilées les unes avec les autres comme un collier de perles montre une fois de plus que le projet avait été pensé pour DC et rappelle certaines pages de Crisis on infinite Earths.
La dernière partie se passe sur Terre et de nos jours… enfin dans les années 80.
Cette fois-ci Steve Gerber se focalise plus sur l’étude sociale et la satire et nous livre ses réflexions sur l’argent, la célébrité, le pouvoir de la télévision, le sexe et l’amour,la violence domestique, les outcasts… bref, tout ce qui fait notre quotidien.
Gerber balance une fois de plus entre désenchantement le plus total et humour le plus tordu et désarmant qui soit (Ath’Aagar est renommé… Mike Jagger) tout en donnant à son héros une mission totalement originale pour l’époque puisque L’un des sorciers, lassé de ce cycle ininterrompu de résurrections, fait revenir l’avatar du héros sur Terre plus tôt que prévu et l’utilise pour enfin trouver un repos définitif.
Si tout est loin d’être parfait dans cet album, il constitue néanmoins un catalogue condensé des divers thèmes et facettes de l’auteur.
Le seul véritable problème de cet album vient de la partie artistique assurée par le très inconstant Val Mayerik.
Natif de l’Ohio, Mayerik étudia la philosophie avant de se lancer dans le dessin en devenant assistant de Dan Adkins en compagnie de Paul Craig Russell.
Ayant signé chez Marvel, il assouvit enfin sa passion pour les culturistes et le fantastique en dessinant diverses séries d’horreur et d’heroic fantasy dont Thongor, Conan ou… Man Thing.
C’est sur cette série qu’il rencontre Gerber et qu’il crée avec lui Howard the Duck.
Les deux hommes s’entendent bien et collaborent souvent sur des récits d’horreur, mais aussi sur Howard, jusqu’à ce que Mayerik quitte Marvel afin de travailler pour la compagnie Continuity Comics de Neal Adams et fonder un studio (Upstart Associates) en compagnie de Walt Simonson, Howard Chaykin et Jim Starlin.
Passionné de S-F et d’Heroic Fantasy, marqué à vie par les peintures de Frank Frazetta, Mayerik s’essaye de plus en plus à la peinture dans le cadre d’Heavy Metal mais aussi dans diverses publications Warren et même chez divers indépendants (Eclipse Comics…) qui lui permettront aussi de collaborer à l’American Splendor d’Harvey Pekar.
Cette passion pour les monstres et les barbares en pagnes l’emmènera bien plus tard à devenir un peintre prolifique pour TSR (AD&D) et Wizard of the Coast (Magic) mais tout d’abord à participer l’aventure Void Indigo où il livre une prestation en demi-teinte comme bien souvent.
Car voilà, s’il admire Frazetta, Mayerik n’en possède pas le talent et est souvent très besogneux.
Pour une adaptation superbe du Chien des Baskerville combien de personnages aux physiques ingrats.
De plus, il semble avoir beaucoup de mal à s’extirper de l’ombre de son maître et, n’ayant pas les moyens de ses ambitions, apparaît souvent comme un copiste avec peu d’imagination qui fait qu’il reste un artiste de second plan.
Malgré tout, bien que pas original pour un sou, Maverik progresse constamment et il faut bien dire que ce qu’il produit de nos jours est bien au-dessus de ce qu’il produisit dans les années 70 et 80 (Vous pouvez vérifiez cela sur son site).

Sur Void Indigo, Val Mayerik livre une prestation peinte qui alterne une fois de plus le meilleur et le pire.
Si ses personnages sont toujours assez patauds et si ses pages sont composées de manière très classique, il fait preuve d’une maitrise sans faille dans le choix de sa palette de couleurs.
Ainsi ur certaines séquences, il fait montre d’un expressionnisme bienvenu avec des teintes ocres qui semblent manger les personnages et retranscrivent parfaitement le crépuscule wagnérien de la première partie.
Paradoxalement, c’est pourtant dans les pages se déroulant à notre époque que Mayerik se débrouille le mieux en sachant enfin trouver l’équilibre entre réalisme et expressionnisme.
Si tout cela ne reste malgré tout pas superbe pour et sou et décontenance au premier abord, on s’y fait assez vite et l’on se laisse porter par le récit.
Mais il faut croire que certains ne furent pas, eux, transportés par cette histoire par trop originale pour son époque.
En effet, ce MGN rencontra un rejet d’une violence à côté duquel les petites polémiques qui agitent le net de nos jours semblent bien dérisoires.
Les critiques et les comic shops conspuèrent dans leur ensemble cet album.
Dans la ligne de mire, les longues scènes de tortures traitées frontalement dans la première partie (qui feront bien rire n’importe quelle personne ayant déjà ouvert un comic de Geoff « gore » Johns) mais plus encore les scènes de violences domestiques et de sexe (pourtant bien chastes).
Personne ne semble alors comprendre l’ironie et les réflexions de Gerber et le Comics Buyer’s Guide ira jusqu’à qualifier l’album de crime contre l’Humanité.
Honnêtement, pour avoir lu ce MGN, il n’y a ici rien de plus choquant que dans Watchmen ou Dark Knight Returns tous deux parus deux ans plus tard et infiniment moins de gratuité que dans n’importe quel épisode du Punisher de la fin des années 80.
Suite à ce scandale, les ventes de la série limitée lancée dans la foulée (le numéro 1 était déjà commandé par les comic shops quand le MGN arriva sur les étals) plongèrent immédiatement et Shooter et Gerber s’accordèrent pour stopper la série après seuelement deux numéros.
Ce Graphic Novel par trop en avance sur son temps marqua la fin de l’âge d’or de Steve Gerber qui, malgré quelques retours flamboyants (Nevada, Hard Time), ne brillera plus jamais avec autant d’éclat et de constance que durant les seventies.

Jamais republiés depuis, le GN et les deux numéros de Void Indigo sont rapidement devenus cultes et atteignent des côtes délirantes de nos jours.
Vous pouvez tenter l’aventure si vous aimez les bizarreries mais vous resterez clairement sur une sensation d’inachevée bien regrettable, bien que l’on puisse trouver le script de quelques épisodes suivants sur le net mais on y reviendra lorsque nous aborderons les oeuvres publiées sous le label Epic.
N’attendez pas pour autant une œuvre à la hauteur du Gerber des seventies et essayez plutôt de trouver ses Howard en premier.
Et comme dans un de ces moments ironiques tout gerberiens, le Marvel Graphic Novel suivant est l’oeuvre de son ennemi intime Jim Shooter.
Enfin, quelques petits détails concernant ce MGN avant de vous laisser vaquer à vos activités habituelles.
La premier est que bien que la série fut ensuite publiée sous le label Epic, et bien qu’elle soit la propriété de Gerber et Mayerik, elle fut considérée comme partie intégrante de l’univers Marvel bien qu’aucun épisode de Void Indigo ne fasse référence à ce dernier ou qu’on ne le voit apparaitre dans une autre série.
Le second point tient au titre lui-même, Void Indigo, qui semble bien mystérieux.
Il faut savoir que cette couleur, et probablement cette oeuvre inachevée, devait avoir un sens particulier pour le regretté Steve Gerber puisque le site internet qu’il tenait avant sa mort se nommait The Indigo Page.
Si l’on se réfère aux significations ésotériques accordées à la couleur indigo, en particulier dans l’Hindouisme, elle semble être souvent une couleur associée à tout ce qui est relatif au psychisme, au spirituel, à l’inconscient, au troisième oeil (?), à la partie non rationnelle du cerveau… ce qui s’accorde plus ou moins au récit ainsi qu’à Gerber, qui fit quand même partie de la vague psychédélique des comics.
En effet, Le héros de l’histoire possède une tâche indigo sur le front qui pourrait être associée à une troisième oeil du récit… et le void indigo du récit est la force qui « relie tous les êtres et les pénètrent, permettant à l’univers de former un tout unique » (copyright SW) qui se cache derrière le voile du réel.
Dernier petit détail totalement anecdotique, le lettrage est la première œuvre d’un jeune débutant nommé Andy Kubert.
