DC Extravaganza, Graphic Nuggets, Living at the Edge of the Worlds, Par Défaut

Robin 3000 (Byron Preiss / P. Craig Russell)

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©DC Comics

Et nous découvrons enfin un premier Elseworld qui n’est pas une relecture du mythe de Batman mais plutôt de celui de son partenaire Robin… enfin c’est un peu plus compliqué que cela, en fait.

Pour mieux comprendre le genèse pour le moins particulière de cette mini-série en deux épisodes, il convient de se pencher tout d’abord sur son scénariste : Byron Preiss.

Byron Preiss

Décédé dans un accident de voiture en 2005, Byron Preiss fut une personnalité quelque peu originale dont le champ d’action dépassa les comics et qui tenta rapprocher ce médium de la respectabilité des livres (vous savez, ceux sans images à l’intérieur).
Né le 11 avril 1953 à Brooklyn, Preiss fut un enfant amoureux des comic books et de la science-fiction… non, en fait, il était amoureux de tout ce qui peut se lire : comics, romans, livres illustrés, magazines, livres-jeux..

Sorti diplômé d’une maîtrise en Communication, il passa ses premières années en tant qu’adulte à jouer les instituteurs avant que son amitié avec Jim Steranko ne lui permette de mettre les pieds dans le monde de l’édition.
Steranko venait alors de fonder sa propre maison d’édition et, socialement concernés, les deux compères décident en 1971 de produire un comic-book avertissant des dangers de la drogue à l’intention des moins éduqués, The Block.
Ce fascicule rencontra un certain succès et fut même distribué gratuitement dans l’ensemble des écoles américaines.

Cette première réussite pousse notre héros du jour à lancer sa propre maison d’édition en 1974, Byron Preiss Visual Publications, qui se distingue par une attention extrêmement poussée au niveau du packaging (couverture, papier, reliure..) des ouvrages.
2 ans plus tard, Preiss effectue sa première démarche visant à allier littérature et comic-books en lançant la collection Fiction Illustrated qui voit plusieurs romans populaires republiés et accompagnés d’illustrations fournies par de grands dessinateurs.
Les plus connues (et réussies) de ces adaptations sont certainement le The Stars, My Destination d’Alfred Bester illustré par Howard Chaykin et le Red Tide de Jim Steranko en forme d’hommage aux romans de Raymond Chandler et Dashiell Hammett.

En 1979, il se jette dans l’écriture en devenant le co-auteur de la série de livres pour enfants intitulés Dragonworld.
Il lance aussi en 1982 l’initiative originale de publier un livre-puzzle, The Secret, rempli d’énigmes censées permettre de découvrir 12 joyaux d’une valeur de 1000$ chacun et cachés un peu partout aux Etats-Unis.
A ce jour, seuls deux des pierres précieuses ont été découvertes dont une en 2004 donc vous savez ce qu’il vous reste à faire.
En cette première moitié des années 80, il met aussi sur pied une autre collection de livres pour enfants écrits par des célébrités américaines et qui verra défiler au fil des ans les noms de Billy Crystal, Jay Leno ou bien encore Jerry Seinfeld.
En 1985, il se lance aussi dans le marché des audio-books et des CD-roms interactifs.

Cependant, pour une maison d’édition indépendante, tous ces projets sont coûteux et afin de financer ses propres projets, Byron Preiss occupe en parallèle le poste de directeur de publication dans d’autres maisons plus prestigieuses comme Harper & Collins, Random House Simon & Schuster.
Et c’est pour l’une d’elle qu’il va mettre au point une proposition de comic-book qui donnera naissance à ce Robin 3000.
En effet, Simon & Schuster est alors détentrice des droits de Tom Swift et parallèlement à la publication de nouveaux romans de ce héros, Preiss voudrait publier un revamp de celui-ci sous forme de comic book.

Tom Swift

Tom Swift est un personnage de fiction créé en 1910 par Edward Stratemeyer et qui a traversé le 20ème siècle au travers d’une immense série de romans écrits sous le pseudonyme de Victor Appleton.
Tirant son nom de la devise « swift by name and swift by nature » (prompt de nom et prompt de nature) et inspiré par les figures d’Henry Ford ou de Thomas Edison, Tom Swift est un héros au positivisme scientifique typique du début du 20ème siècle.
Adolescent au cerveau génial, il parcourt le monde à la recherche d’aventures en tous genres tout en créant moult inventions dont certaines anticiperont les avancées technologiques de notre époque.

Pour résumer, les aventures de Tom Swift sont un croisement entre les romans de Jules Verne, le Club des Cinq, Doc Savage et Tintin.
Le tout se caractérise par une forte dose de techno-blabla et des titres mettant tous en valeur la nouvelle invention de Tom pour chaque roman : Tom Swift et son télescope géant, Tom Swift et sa locomotive électrique, Tom Swift et son sous-marin de poche nucléaire…

Ainsi, Byron Preiss souhaite ressusciter une fois de plus le personnage de Tom Swift dont il était un fervent lecteur dans son enfance en le réactualisant pour les années 80.
Pour cela, il construit un pitch résolument tourné vers le space-opera avec un Swift vivant en l’an 3000 et menant la résistance humaine dans son combat contre une race extra-terrestre aux visées hégémoniques.
Reste à trouver le dessinateur adéquat.
Preiss note lui-même les similarités entre son histoire et une fameuse série Marvel des seventies, Killraven Warrior of the Worlds (dont nous avons traité le Graphic Novel ici), le récit d’un guerrier humains résistant aux envahisseurs martiens (ceux de H.G.Wells) et décide de contacter le dessinateur de la-dite série : Philip Craig Russell.

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©DC Comics

Comme nous l’avons déjà expliqué dans les articles consacrés à Elric et à Gotham by Gaslight, P.C. Russell a pris ses distances avec les majors du comics durant les années 80.
Outre les aventures du Elric de Moorcock, il s’amuse en dessinant principalement des versions dessinées des grands opéras et de certains classiques de la littérature.
Lorsqu’il est contacté par Preiss en 85-86, il vient tout juste de terminer une merveilleuse adaptation du Livre de la Jungle.

Bien qu’étant lui-même amateur des aventures de Tom Swift dans son enfance, ce qui motive principalement Russell c’est de travailler pour une maison aussi prestigieuse que Simon & Schuster et il se dit que finalement, pourquoi pas refaire un tour du côté de la science-fiction.
Les deux hommes se mettent au travail et bien vite produisent un one-shot prestige de 58 pages et débauchent même Steranko pour faire la couverture avant de remettre le produit fini à la maison d’édition pour publication.
Sauf que S&S trouve que le moment n’est pas adéquat. Un an plus tard ? Toujours pareil !! 2 ans ? Même réponse !!
Et petit à petit le projet tombe définitivement aux oubliettes.

Mais c’est sans compter l’acharnement de Byron Preiss qui tient absolument à voir son histoire publiée.
Au début des années 90, il commence à faire le tour des éditeurs de comics qui ne semblent pas plus intéressés à la perspective de publier les aventures d’un personnage qu’elles considèrent toutes comme démodé.
Malin comme tout, Preiss trouve la solution et va présenter son projet comme un Elseworld et pour convaincre DC, leur dit que lui et Russell vont retravailler le tout pour en faire une version futuriste de… Robin !!

Cela fait bien les affaires de DC puisque le nouveau Robin (Tim Drake) est alors l’une des coqueluches des fans et qu’après 3 mini-séries qui se sont vendues comme des petites pains, cette année 92 va voir l’arrivée de la série régulière consacrée au rouge-gorge.
Ni une ni deux, Byron Preiss griffonne quelques pages de script pour intégrer des éléments de la mythologie Batman dans son histoire, qui dorénavant s’étalera sur 2 gros comics, avant que Russell ne se mette à dessiner dans l’urgence une vingtaine de nouvelles pages qui viendront donc s’insérer entre les anciennes.

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©DC Comics

« En l’an 3000, l’empire galactique Skulp a conquis la Terre.
Le seul être humain a avoir résisté, Batman, a été discrédité auprès de l’opinion avant d’être abattu.
Heureusement, il a réussi a dissimuler l’existence de son neveu Tom Wayne, qui va s’apprêter à combattre les Skulps sous l’alias de Robin. »

Oh lala ! Que dire sans être méchant ?
Bon, soyons honnête et disons le tout de go, le scénario est franchement catastrophique !!
Mais alors dans des proportions gargantuesques.
Enfin non, soyons plus précis, le scénario en soi n’est pas plus con qu’un autre mais son traitement, sa mise en scène, l’enchaînement des séquences, les dialogues, la construction des personnages sont.. totalement à la ramasse.
Votre serviteur avoue avoir même dû se faire violence et s’y prendre à 4 fois pour finir ces deux épisodes tant le résultat est lénifiant et abscons à la limite de l’illisible.

Le premier et plus prégnant problème c’est que la greffe de l’univers de Batman sur celui de Tom Swift se voit comme le nez au milieu de la figure et ne prend jamais.
Pour tout dire, elle ne fait qu’ajouter des contradictions dans un traitement déjà passablement confus et contribue à rendre le tout quasiment incompréhensible.
Plus grave, elle créé même de sacrées dissonances cognitives chez le lecteur puisque chaque séquence ou clin d’oeil « gothamite » arrive comme un cheveu sur la soupe et n’est pas du tout raccord avec ce qui est raconté par ailleurs.

Cela créé une schizophrénie inconsciente chez Tom qui vit son aventure comme si le Batman de l’an 3000 n’avait jamais existé avant de se souvenir ou de faire référence à son univers ça et là sans qu’on comprenne pourquoi ou bien en étant en totale contradiction avec ce qui est développé dans les pages précédentes.
Bref, Preiss a beau écrire « Tom Wayne » dans presque chaque bulle, on y croit jamais tant il n’a pas effectué un véritable travail d’adaptation de son histoire originale.

Le reste est à l’avenant puisque, même en faisant de son mieux pour s’extraire de la greffe « batmanienne », rien ne fonctionne et le tout ne fait qu’assommer le lecteur.
A l’exception de l’humaine collaboratrice des Skulps, les personnages n’ont aucune caractérisation et ne créent aucune empathie chez le lecteur pour leur sort ou leur combat tant il ne font que suivre le déroulement de l’histoire et passent leur temps à s’extasier sur les capacités de Tom.

Les dialogues sont remplis de techno-blabla imbuvable qui, certes, correspondent aux canons des romans de Tom Swift mais laissent le lecteur sur le carreau de par leur profusion et leur interminable logorrhée.
D’ailleurs, toute l’histoire aurait pu être titrée « Tom Swift et sa main cybernétique » vu que cette fameuse main est au centre de toutes les attentions de l’auteur qui passe son temps à décrire ses capacités sous toutes les coutures et qui tient du méga-super-deus ex machina tant elle acquiert de nouvelles caractéristiques pour débloquer chaque nouvelle situation.

Même en faisant exception des ajouts « batmaniens », la construction des séquences est elle aussi complètement à la ramasse avec des sauts dans le temps et/ou l’espace qui détruisent toute velléité de construire une progression dramatique et ne font qu’embrouiller au-delà du compréhensible une intrigue inutilement et faussement complexe.
Conséquence de tout ce capharnaüm, la conclusion de l’histoire tient de l’anti-climax et… ne résout rien.

La lutte contre l’empire Skulp en est toujours au même point, le méchant subit une transformation hors-champ dont on ne saura jamais à quoi elle aboutit, le sub-plot sur les parents de la collabo est laissé sur le bord de la route, celui sur les différents clones de Tom aussi (oui, il y a une histoire tordue de clones au milieu histoire d’embrouiller encore plus les choses), la quête de Tom pour savoir ce qu’il est advenu de son père est au point mort.
La conclusion est en fait voulue comme l’acceptation de Tom de son rôle de héros lorsqu’il reçoit le masque de Robin des mains d’un de ses clones sauf que comme ce parcours n’est jamais construit auparavant et qu’on a jamais l’impression d’être en face d’un futur Robin… ben, ça tombe à plat !!

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©DC Comics

Ok, c’est bien gentil tout ça mais qu’y-a-t-il à sauver de tout ça ?
Et bien, toute la partie graphique puisque Philip Craig Russell se déchaîne du feu de dieu !!
Rien que les deux couvertures aux compositions inspirées de Wallace Wood annoncent la couleur.

C’en est presque une douleur de le voir atteindre de tels sommets graphiques pour illustrer une histoire aussi imbitable.
Toutes les qualités déjà présentes sur ses œuvres précédents sont encore là et même plus encore avec un travail de design sur cet univers space-opera à l’opposé des canons esthétiques de la science-fiction de ce début des nineties.

Ce Robin 3000 est coloré et pimpant et effectue avec brio une synthèse apparemment impossible entre les représentations spatiales de Wally Wood, de Star Wars et de Moebius qui vient alors d’être découvert par les artistes américains grâce à la traduction de ses œuvres par le label Epic.
On retrouve même l’influence de la ligne claire d’Hergé par endroits et le tout se mêle habilement aux obsessions habituelles de P.C. Russell comme les préraphaélites, Jim Steranko ou Eyvind Earle.

Le résultat est de toute beauté que cela soit au niveau de la construction des planches, de celle des cases, des designs, de la morphologie et du dynamisme des personnages, de la luxuriance et l’originalité de décors.
L’ensemble atteint un équilibre merveilleusement impossible entre densité tourbillonnante et clarté aérienne, gracieuse… un peu comme un Chris Bachalo qui saurait où s’arrêter d’en rajouter.
Réellement le résultat atteint des sommets stratosphériques de beauté et se classe parmi les meilleures prestation de cette artiste hors-normes.

C’est un régal et une extase rétinienne à chaque page pour le lecteur qui saura s’extraire d’une histoire qui tient de la catastrophe industrielle.
Une mini-série problématique et à conseiller principalement aux fans de P.C. Russell, ou aux artistes en herbes, et à considérer comme un superbe art-book pour pouvoir s’apprécier.

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©DC Comics

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