
Les 2 premières parties de notre dossier se trouvent ici et là.
Le big boss met donc les petits plats dans les grands et offre à son égérie le graphic novel le plus volumineux (à ce moment là) de la collection avec 75 pages enrobées sous une sublime couverture peinte de Bill Sienkiewicz.
Mais comme le pour le moine ou le chocolat, il ne faut pas se fier à l’habillage car dès les premières pages tournées on entre dans une dimension… autre !
Toujours décidée à percer dans le show-biz, Alison Blaire vient de déménager à Los Angeles et donne des cours de gymnastique entre deux concerts en attendant qu’un producteur veuille bien repérer ses talents d’actrice et de chanteuse.
Si la chance de devenir célèbre se présentera bien à elle sous la forme d’un film, elle connaîtra aussi le revers de la médaille et, entre autres, brisera quelques cœurs au passage, aura le sien brisé, fera face au grave problème de la prise de poids, consommera quelques hectolitres de whisky et fumera autant que Serge Gainsbourg dans toute une vie, connaîtra les joies du sexe gérontophile et provoquera le malheur de la race mutante pour de longues années.

Pfffiiuu !!!
Que dire sur ce Marvel Graphic Novel si ce n’est qu’il est un « what the fuck » le plus total oscillant entre telenovela à la sauce « AB productions » complètement surannée, fausse-vraie pudeur voyeuriste au final bien lourdingue et hypocrite et fable morale assez malsaine.
Du coup, comme un esprit déjà déstabilisé et qui abuse de l’alcool, le lecteur alterne entre franche rigolade, ennui et profond malaise.
C’est à se demander si Jim Shooter ne s’est pas assis avec un gros sachet de coke, un tonneau de bourbon et s’est maté l’intégrale de Dallas, Dynasty, Diamonds at Tiffany’s, Flashdance, Stayin’ Alive et Sunset Boulevard… puis a mixé tout cela avant de sombrer dans un coma éthylique digne des ferias les plus agitées.

Le problème c’est que l’on voit très bien où le scénariste veut en venir et que, même si tout cela n’est pas original et trahit une vision assez clichée d’Hollywood, son histoire pourrait être aussi acceptable qu’une autre.
En gros, on a un scénario scorsesien sur le prix à payer pour atteindre ses rêves et construit selon le modèle classique « ascension-chute-rédemption » qui a permis de donner naissance à de nombreuses histoires très agréables.
Malheureusement, Shooter n’arrive pas à doser ses ingrédients (ou appuie sur tous les mauvais boutons si vous préférez) et alterne les impasses et les retournements abrupts de caractérisation avec la grâce du proverbial éléphant.
Du coup, on se retrouve avec des personnages à la psychologie de poulets décapités qui changent d’attitude comme un politique sa chemise afin de passer à chaque étape du récit avec une grande difficulté qui prête à rire tout en nous stupéfiant par son incohérence voire, à nouveau en nous mettant mal à l’aise tant les personnages semblent immoraux.
Ainsi Alison envoie paître le stalker Eric Beale mais cède au « charme » du stalker Roman Nekoboh qui a quand même tenté de la violer.
Et c’est quoi qui la convainc de donner une chance à Nekoboh ?
Le fait que celui-ci lui ait menti en feignant une crise cardiaque; c’est là qu’elle réalise son « amour » pour lui.
Cherchez pas à comprendre, c’est Hollywood on vous dit.

Dans la vision du monde que retranscrit Shooter ici, les hommes semblent tous être des stalkers-violeurs prêts à user et abuser de tous les moyens à leurs dispositions pour arriver à leurs fins, des vieux-beaux ou tout du moins essayant de donner cette impression (la métamorphose de Nekoboh est à la fois répugnante et comique au possible) qui jouissent de leur puissance et de leur argent sans aucune limite.
Et n’allez pas croire que l’auteur fait ce portrait peu flatteur de la gent masculine afin de pondre un scénario féministe mettant en valeur son héroïne puisque Dazzler ressort du récit comme peut-être le personnage le plus immoral et vaniteux de toute cette galerie.
Et c’est là qu’on touche à l’énorme point noir de cet album puisque Jim Shooter arrive à rendre son héroïne totalement antipathique.
Chargeant la mule comme ce n’est pas possible, le scénariste nous dépeint une Alison Blaire totalement pimbêche et aux allures d’oie blanche avant de se métamorphoser en mante religieuse alcoolique assoiffée de sexe et d’alcool et ne cédant qu’aux hommes s’humiliant devant elle… (entre le naïf Stanachek qui a droit à son baiser bien baveux en récompense d’un trajet en voiture et Nekoboh (sorte de croisement physique entre Shooter et Ronald Reagan) qui a droit à sa dose de sexe dès qu’il cède aux caprices de sa diva, on est servi)…, totalement vaniteuse (combien de pages montrant Dazzler en train de s’admirer dans le miroir), hypocrite et au final assez vénale sous ses apparences d’ingénue devenant « femme forte ».

La conclusion laisse pantois avec Alison déclarant à un Nekoboh quasiment ruiné (mais libéré d’un contrat méphistophélique) qu’elle l’aime avant de se barrer vers le soleil couchant en abandonnant le vieux beau (enfin plus vieux que beau) comme une vieille chaussette pour poursuivre sa carrière.
Dans ce monde distordu, les relations humaines semblent toutes se jouer uniquement selon la règle du « master and servant » et le seul moyen de s’en sortir est de devenir le dominant et de soumettre les autres à sa botte.
D’une certaine manière, cela n’est pas très surprenant de la part de Shooter dont les scénarios ont souvent fait montre d’une certaine fascination pour les personnages en situation d’abus de pouvoir et une vision assez trouble du sexe et des relations humaines dans ses comics.

Pour exemple, nous pourrons citer l’Avengers 200 (qui malgré sa qualité présente une conclusion bien malsaine) ou le second run de Shooter sur les Avengers justement (Pym battant sa femme puis cette dernière se jetant au cou de Stark, Moondragon qui fait de Thor son étalon, Tigra…) ; c’est peu de dire que l’EIC de Marvel a une vision assez… spéciale des rapports humains.
Mais rien n’atteint le summum de ce graphic novel tout juste racheté par un humour totalement involontaire.
Cet humour est principalement l’oeuvre de la paire graphique dessinant cet album et déjà en charge de la série régulière.
Frank Springer vient du monde du strip (il a commencé comme assistant de Georges Wunder sur Terry & the pirates dans les années 50) et fut l’un fers de lance de Dell Comics où il se fit principalement connaître pour ses épisodes du sage détective Charlie Chan.
Durant les années 60, il alterna entre DC et Marvel où il produisit de multiples comics avant de lancer le premier strip destiné à une audience « adulte », The Adventures of Phoebe Zeit-Geist qui plaira aux amateurs de femmes enchaînées, dénudées, fouettées par de vilains serpents et autres dominas nazies (La Bible de Jim Balent, pour sûr).
Vers la fin des années 70, il retourne chez Marvel où il effectue divers fill-ins et travaux d’encrages avant de se voir « récompensé » pour sa fidélité en obtenant la série Dazzler.
Vince Colletta est connu comme le loup blanc et c’est peu de dire que sa réputation n’est pas des plus flatteuses.
Né en Sicile, Colletta a passé l’essentiel de sa carrière chez Atlas/Marvel. Il commença tout d’abord à être l’un des plus prolifiques fournisseurs de Romance Comics avant de devenir l’un des encreurs inévitables de la compagnie, au grand dam de bien des dessinateurs.
Connu comme étant l’un des encreurs les plus rapides de la profession, Colletta n’est concerné que par le fait de rendre un maximum de planches dans les temps, il encre tout de la même manière et n’hésite pas à gommer quantité de détails ou à en rajouter de son cru sans consulter les dessinateurs défigurant ainsi leurs planches comme un gougnafier.
Du coup, il devient l’épreuve de bizutage incontournable chez Marvel pour tout dessinateur débutant, en retard ou fort en gueule tout en faisant l’objet de rumeurs assez folles.
Ainsi, John Romita jr déclara que personne n’osait refuser du travail à Colletta car ce dernier était lié à la mafia.
Il faut reconnaître néanmoins que l’association des deux fonctionne assez bien dès qu’il s’agit de s’attarder sur les charmes d’Alison Blaire ou lors des séquences les plus romance du graphic novel et qu’ils livrent par moments certaines cases très proches de ce que peut faire un John Romita Sr (c’est tellement troublant sur certaines cases qu’on peut même se demander si Romita père n’a pas « ghosté » quelques pages).
Mais alors pour le reste c’est juste… horrible et du coup génialissime.

Les costumes et les décors alternent design 80s et esthétique 50s-60s dans un bordel anachronique joyeusement foutraque digne des pires nanards quand ce ne sont tout simplement pas des décors tellement génériques qu’ils laisseront pantois n’importe quelle personne ayant vu L.A.
De plus la paire Springer-Colletta échoue totalement dès qu’il s’agit de donner vie à une scène d’action ou à représenter les pouvoirs de la belle.
C’est tellement raide qu’on a l’impression d’assister à une course de tortues jamaïcaines.
Si l’on rajoute à cela, des séquences traitées d’une manière tellement désuètes qu’elles contredisent totalement l’ambiance donnée par les dialogues, on atteint des séquences d’anthologies comme cette scène où Dazzler semble discuter avec ses boobs ou la scène de la tentative de viol qui ressemble à une comédie screwball sortie d’un placard empoussiéré.
Le point étrange de ce Graphic Novel très « strauss-khanien » dans l’âme est finalement le côté très prude des dessins par rapport à d’autres albums de la collection qui ne se gênent pas pour exposer la nudité.
Du coup, cette histoire de gens qui ne pensent qu’au sexe et à l’argent semble encore une fois hypocrite même si l’explication de cette pudeur graphique est facile à trouver.
Car voilà, « Dazzler: The Movie » est un récit totalement dans la continuité de la série régulière et c’est d’ailleurs au niveau de la continuité du Marvelverse qu’il laissera finalement un héritage prégnant.

En effet, le graphic novel de Dazzler contient le très important passage d’Alison Blaire à une coupe de cheveux courte.
Non, on plaisante… même si c’est vrai qu’elle change de coupe.
C’est surtout que le MGN de Dazzler est LE titre où éclate l’hystérie anti-mutants qui fera les beaux jours des titres X pour les trente années suivantes (voire plus).
Rappelons une fois de plus qu’avant l’année 1984, la haine anti-mutant n’occupe finalement une place assez mineure dans les X-Men (à l’exception d’un Days of Future Past qui permet à Byrne de s’amuser avec un futur dystopique et de God Loves, Man Kills).
Le GN de Dazzler prend place dans l’univers marvel juste avant que les principaux héros de la firme participent à Secret Wars et se termine alors que les X-Men reviennent au Japon.
Entre les deux, Alison Blaire a révélé sa condition mutante au public afin de promouvoir son film lors d’une démonstration qui failli mal tourner.
Ce fait, mis en parallèle à la méfiance dont font soudainement preuve les héros à l’encontre des X-Men (dans Secret Wars aussi écrit par Shooter) emmène le racisme anti-mutant au rang de thème majeur des séries X et du Marvelverse en général.

Plus intéressant encore est la manière dont Claremont utilisera l’héritage de ce Graphic Novel bien longtemps après dans les pages d’Uncanny X-Men 260.
Réutilisant le background de ce GN (Stanachek et Beale) et profitant de l’amnésie post-seuil du péril, Papy livre son dernier très grand épisode de son run historique en fournissant enfin aux personnages de Shooter la rédemption qu’ils n’arrivèrent pas à obtenir dans les pages du GN.
Claremont semble alors boucler la boucle du parcours de Dazzler en opérant un changement de pouvoir de la belle (qui peut désormais guérir le Mal du coeur des hommes par sa lumière) et semble planifier de faire de la responsable de l’hystérie anti-mutants celle qui en sera finalement la seule solution lors de l’affrontement final avec le Roi d’Ombre.
Las, la réalité sera bien différente par la grâce (tousse) de Bob Harras et des Image Boys.

Mis à part ce point qui n’intéressera que les lecteurs marveliens les plus hardcores, ce Marvel Graphic Novel, non publié chez nous vu que la série fut éjectée de Titans avant, n’est a réserver qu’aux amateurs pervers des bizarreries les plus déviantes etqui pourront trouver l’album d’origine pour un prix modique ou, s’ils sont vraiment dégénérés, pourront acheter l’Essential Dazzler (que bien sûr on ne possède pas ) mais là ça ferait vraiment beaucoup de perversion.
