DC Graphic Novels, Graphic Nuggets, Trans-America-Express

Me & Joe Priest (Greg Potter / Ron Randall)

Me Joe Priest cover
©DC Comics

Et nous étudions donc cette fois-ci un DC Graphic Novel touchant à un sujet brûlant mais largement et malheureusement passé inaperçu et qui fut l’oeuvre de deux petits artisans des comics éclipsés par l’ombre des superstars du médium.

A l’instar d’un Jim Shooter, le scénariste Greg Potter a réussi à voir ses premiers scénarios publiés dès son adolescence au sein des anthologies d’horreur de Warren Publishings au début des années 70.
Joe Orlando repère ce talent et lui permet à son tour de produire des histoires pour les diverses anthologies d’horreur de DC : House of Mystery, Secrets of Haunted House…
Et puis Potter disparaît soudainement des sommaires afin de mieux poursuivre ses études à l’université d’Hartford dans le Connecticut.

Il réapparaît en 1984 chez DC Comics avec une toute nouvelle série qui devait à l’origine retracer le parcours en solo du Martian Manhunter.
Problème, ce dernier doit faire partie du prochain roster de la Justice League et Potter doit revoir sa copie.
Il modifie du coup légèrement son script pour conter les aventures d’un nouvel extra-terrestre venant cette fois-ci de Saturne.
« Jemm, Son of Saturn » s’avère être une jolie réussite qui bénéficie du trait onirique de Gene Colan et ouvre la porte de nouveaux projets à Greg Potter.

Outre la commande d’un DC Graphic Novel par Joe Orlando, il s’attelle en compagnie de George Pérez à la redéfinition du personnage de Wonder Woman tel qu’il devra apparaître au sortir de Crisis on Infinite Earths.
Sauf que Potter réussit à décrocher un poste de directeur créatif dans une agence de publicité et qu’il abandonne à nouveau les comics, définitivement cette fois.
Il aura néanmoins achevé le script des deux premiers numéros de Wonder Woman et l’intégralité de ce DC Graphic Novel qui constitue le testament d’un talent en devenir mort-né.

Ron Randall

Ron Randall, pour sa part, est né le 22 novembre 1956 et lit des comics et dessine depuis sa plus tendre enfance.
Cependant, son choix de devenir professionnel ne survient que durant ses années de lycée lorsqu’il fait la connaissance d’un camarade de classe encore plus avide que lui mais au regard déjà plus expérimenté puisqu’il suit non pas des séries en particulier mais des artistes.
Randall réalise alors qu’il existe des gens derrière les beaux illustrés qu’il aime tant et décide d’en faire son métier.

Il intègre ainsi la nouvellement créée Joe Kubert’s Art School et fait partie de la première génération de diplômés sortis de l’institut fondé par l’immense Joe.
C’est le même Kubert qui permet à Randall de rentrer chez DC et d’illustrer une bonne tripotée d’histoires du Sgt Rock.
Orlando reprend la balle et bond et le dessinateur se met bien vite à officier en parallèle sur certaines anthologies d’horreur avant de connaître une première mise sous les projecteurs lorsqu’il se met à dessiner la back-up de la très populaire série Warlord de Mike Grell.
Continuant sa progression, il devient le dessinateur titulaire de la série Arak, sorte de Conan pseudo-historique de DC.
1985 constitue un certain acme dans la carrière de Ron Randall puisqu’il participe à quelques épisodes du Swamp Thing d’Alan Moore et qu’il dessine ce DC Graphic Novel.

« Dans un futur lointain, les hommes doivent faire face à la « grande sécheresse », phénomène physiologique ayant rendu toute la population mâle stérile.
Voyant sa fin arrivée, une partie de l’Humanité décide de se jeter sans peur dans les Expériences (sexuelles, notamment) afin de profiter de leurs derniers jours tandis qu’une autre, menée par le clergé, voit dans ce phénomène la marque du châtiment divin pour nos pêchés.

Mais un espoir pourrait bien se dresser en la personne de Joe Priest !!
Joe qui pourrait bien être le dernier homme sur Terre encore fertile… sauf que Joe est prêtre ! »

MeJoePriest1
©DC Comics

Commençons tout d’abord par le négatif afin de l’évacuer rapidement, à savoir les dessins.

En effet, derrière une attrayante couverture signée Howard Chaykin le lecteur risque de très vite déchanter en découvrant le graphisme beaucoup moins alléchant de Ron Randall.
Le gros problème de Randall tient au fait que ses personnages ne possèdent pas une once du glamour nécessaire pour flatter l’oeil du lecteur.
Son rendu des personnages ne contient aucune réelle erreur de proportions ou d’anatomie mais ils sont raides, passe-partout, sans dynamisme.
De même pour ses designs qui ne contiennent aucune once de la réelle imagination nécessaire pour dépeindre un monde post-apocalyptique.

Ces défauts sont de surcroît handicapés par l’encrage de Randall qui est composé d’une multitude de petits traits censés masquer son manque de maîtrise des textures et des drapés mais donne en fait un rendu proche du pelage, de la fourrure, du duvet.
Au final, on obtient des dessins à l’aspect étrange, proche de ce que fait un Pat Broderick, qui donne l’impression de suivre les pérégrinations d’animaux à fourrure se débattant sur de la moquette; pas franchement ragoûtant donc.
Reconnaissons néanmoins la narration de Ron Randall est solide et suffisamment bien troussée pour que tout s’enchaîne facilement avec une mise en page claire et aérée qui démontre qu’il connaît les règles classiques de la bande-dessinée suite à son passage dans la Joe Kubert Art School.

MeJoePriest2
©DC Comics

Le véritable intérêt réside en fait dans le scénario de Greg Potter.
Certes, il possède lui aussi son petit lot de défauts, ou plutôt de grosses ficelles scénaristiques, comme l’identité du père de Joe Priest, que le lecteur devinera au bout de deux cases, ou ces « nonnes » qui réussissent à cacher quelque chose de très très visible sous leurs vêtements sans que personne ne moufte, séquence qui pour le coup s’avère quelque peu nanardesque.
De même, le futur post-apocalyptique très influencé par Mad Max est typique de ce début des années 80 et pourra s’avérer quelque peu suranné pour le lecteur moderne.
Mais nous pouvons largement passer outre ces quelques facilités et points faibles pour nous concentrer sur le cœur de ce récit.

Et le cœur de ce récit, c’est un sujet ô combien brûlant et tabou pour les éditeurs de comics, voire pour la majorité des artistes quel que soit leur domaine durant les années 80: le SIDA.
Car derrière cette histoire de « grande sécheresse » c’est bien une métaphore de ce terrible virus qui est présenté dans ce DC Graphic Novel qui prône la tolérance et l’espoir.

Il faut se souvenir, ou rappeler aux plus jeunes qui n’ont pas connu cette époque, le climat de peur qui a entouré l’émergence de ce virus.
Une époque de stigmatisation envers des personnes déjà largement ostracisées par le reste de la société (les homosexuels et les héroïnomanes), de rapports médicaux confus, d’absence de traitement palliatif, de rumeurs alimentées par la peur de l’infection (du genre, être infecté si on boit dans le même verre qu’un séropositif), de personnes contaminées vivant avec la peur au ventre et pour certaines décidant d’ignorer les consignes pour se consumer une dernière fois dans le sexe bareback à tout va… et à l’autre extrémité, une frange de la population qui voit dans ce virus le signe d’un châtiment divin, d’un retour de bâton soi-disant bien mérité après l’explosion de la libération sexuelle, le signe de l’Apocalypse imminente.

Et c’est tout cela, que retranscrit ce one-shot à sa manière parfois un peu naïve en maximisant toutes les peurs qui agitent alors la société face à cette maladie.
Les partisans des Expériences sont ceux qui se sentent rejetés et qui sachant leur fin inévitable décident de se laisser aller à toutes leurs pulsions mais qui grâce à l’exemple de Joe Priest trouveront la lueur d’espoir qui leur permettra de redonner un sens à leur vie.

L’Eglise du cardinal David représente bien sûr tout ceux qui se drapent dans leur soi-disant sens moral et qui pensent alors que le SIDA est le bras armé de Dieu venant mettre fin à la décadence humaine mais qui cachent parfois de bien noirs secrets, démontrant bien qu’aucun être n’est un parangon de vertu.
Quand aux petites communautés visitées par Joe Priest, elles sont bien sûr la transcription du gros de la population, ces gens qui se méfient des autres et qui sont tenaillés entre leur désir d’Expérience (le sexe) et le risque que celle-ci pose pour leur vie.

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©DC Comics

Il reste enfin le personnage de Joe Priest qui est adroitement mené par le scénariste qui réussit à instaurer le doute dans l’esprit du lecteur pendant une large partie du récit à l’instar du compagnon narrateur la vie de Joe (le Me du titre).
Est-ce un affabulateur ?
Un simple arnaqueur priapique profitant de la crédulité d’une population désespérée afin de trousser de la donzelle ?
Ou bien est-ce un mythomane qui croit véritablement être investi d’une mission divine ? A moins que toute son histoire soit la plus pure et stricte vérité ?
Le dernier acte de l’histoire apportera une réponse à cette interrogation et permettra de dépasser le stade de la blague provocatrice à la Garth Ennis que semblait être le pitch,  à savoir faire d’un prêtre un fornicateur pour le bien divin.

Car Joe Priest n’est pas tant un personnage que l’incarnation d’une idée toute simple, celle de l’espoir, celle qui veut que la Vie trouvera toujours un chemin pour continuer et qu’elle dépasse notre propre vie personnelle.
C’est cette flamme que le héros rallume dans le cœur de ceux qu’ils croisent et qui comprennent que même si ils vont mourir la Vie, elle, sera toujours là et qu’il faut donc la chérir et l’aider plutôt que de s’enfermer dans le chemin mortifère que tous ont emprunté après la « Grande Sécheresse » et ce quel que soit le camp qu’ils ont choisi.

Et c’est ce qu’il faut retenir de ce DC Graphic Novel malgré une partie graphique qui n’est pas au niveau (même si pas catastrophique non plus).
Au delà de quelques faiblesses de construction dues au format de soixante pages, cette histoire constitue un acte courageux et l’une des premières œuvres à s’attaquer au Sida et à ses impacts sur la société.
Un comic book malheureusement inédit en français et trop largement méconnu des deux côtés de l’Atlantique.

MeJoePriest4
©DC Comics

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