
Pitch: « Kenshiro « Zero » Cochrane, jeune hacker-biker anarchiste, se trouve abattu suite à un piratage puis ressuscité en tant que Ghost Rider de l’an 2099. »
Troisième série (après X-men et Hulk) de la seconde vague de titres 2099, cette nouvelle version du motard fantôme s’avèrera la nouvelle bonne surprise du label tant par son côté iconoclaste (par rapport au tout venant Marvel des 90s) que par le vivier de dessinateurs qu’elle fut.
A contrario du turn-over graphique, la partie scénaristique sera dévolue tout au long des 25 numéros de la série au même auteur, Len Kaminsky.
Alors en charge des destinées de l’Iron Man classique avec plus ou moins de bonheur (Enfin, surtout du moins), il accomplit ici son run le plus intéressant (à notre connaissance) en alliant roublardise maligne lui permettant de faire de bonnes ventes et idées plus originales.
Comme les autres titres 2099, on peut séparer la série en deux temps qui correspondent chacune plus ou moins à une année.
Year one – Rage against the Machine:

« Fuck you I won’t do what you tell me !! »
Ces célèbres paroles du groupe phare des années 90 pourraient être la phrase résumant la série.
En effet, Kaminsky fait passer la vengeance au second plan pour transformer son Ghost Rider en « Spirit of Anarchy » tant dans la personnalité de son héros que dans le contexte le voyant évoluer.
Attention cependant, on n’est pas dans l’anarchisme à la Alan Moore (ce serait donner à Kaminsky plus de crédit qu’il n’en possède) mais dans le pur teenage angst, dans l’agressivité limite auto-destructrice de la génération X, cette génération qui a constaté l’hypocrisie de ses parents hippies et qui a vu la révolte de ses grands frères punks et hardcore mordre la poussière.
Cela nous donne un comic book parfaitement rock n’ roll et, après tout affubler son héros d’un patronyme proche d’Eddie Cochran n’est certainement pas innocent.
Car que nous présente ici l’auteur si ce n’est une pure tête de con bien énervée contre ses parents, la société, toute forme d’autorité…
Zero est le parfait petit grunge, l’ado désorienté venant d’une cellule familiale brisée, le faux cynique qui cache sa peur des relations avec le sexe opposé derrière un comportement odieux, le type qui sait qu’il ne renversera jamais la société mais qui continue à se révolter contre tout et tous sans plus savoir pourquoi.
Tout ici concourt à décrire une bombe humaine, une arme vivante prête à être utilisée par n’importe qui d’assez malin pour canaliser cette rage que cela soit par les Ghostworks ou par Doom.
En cela, Kaminsky nous présente un héros parfaitement « marvelien » vu qu’en un seul personnage on retrouve le jeune en butte au rejet du monde adulte (Spider-Man, X-Men) et la menace envers la société (Hulk, Sub-Mariner, Marvel Boy).
On voit bien ici toute l’astuced’un scénariste qui a bien compris les différents courants en vogue autour de lui à l’époque ainsi que l’héritage qu’il doit convoquer.
De même il sait ce qui vend dans le petit monde du comic book en cette période et couvre sa série d’un vernis Image Comics (la scie laser et autres armes de Gros Bill (amis non-rôlistes, Internet est votre ami) qui pourront peut-être en éloigner certains s’ils s’en tiennent à une lecture rapide parce que ça dégueule quand même de bastons dans tous les sens.
Dans tous les cas, on a entre les mains une série distrayante avec un personnage principal qui détonne alors dans l’univers Marvel.
On n’est pas dans la figure du héros bon teint ni dans celle du vigilante mais plus dans le « rebel without a cause ».
Après, le peu de distanciation établie par l’auteur fait qu’on accrochera ou pas à cette version tout comme on accroche ou pas à des films tels que Chute Libre, Tueurs Nés, Kalifornia… Ce sera donc selon votre sensibilité.

Le second et énorme bon point de cette série, c’est l’attention et l’imagination apportées au background.
Là où un Peter David pourrait tout aussi bien placer ses histoires dans le temps présent et où un John Francis Moore préfère disséminer ses trouvailles avec parcimonie, Len Kaminsky fait montre d’un sens du détail qui confine à l’obsessionnel.
Tellement obsessionnel qu’il vaut mieux ralentir sa lecture par moments pour tout intégrer.
Comme si on était en face d’un Geoff Darrow du clavier, l’auteur dresse les lieux, personnages, technologies, historiques, corporations, jeux d’influences et de langages avec un tel luxe de détails qu’il permet de donner une réelle texture au cadre entourant son héros.
Il convient d’ailleurs de saluer le travail de traduction de Semic qui arrive à retranscrire le langage inventé par l’auteur tout en le laissant compréhensible (en VO, les premiers numéros étaient accompagnés d’un lexique. No joke).
Rien que pour ce soin apporté au background, la série en devient l’une des plus passionnantes du label 2099 et en fait certainement la plus solide et la plus originale de la revue VF… avec Doom 2099, of course.
Alors, certes si on prend chaque petit détail l’un après l’autre on peut retrouver les inspirations derrière, Kaminsky puisant allègrement dans la littérature cyberpunk et les films SF de la décennie précédente mais son talent à faire de tout cela un tout cohérent mérite le respect.
Cela n’empêche d’ailleurs pas le scénariste de faire montre de trouvailles originales en ces temps pré-Matrix.
C’est véritablement le point fort de la série, les intrigues étant relativement simples en elles-mêmes mais réservant toujours leur lot de surprises.
C’est pourquoi nous n’allons pas tellement nous étendre sur l’histoire en elle-même qui est à la fois touffue et difficile à résumer sans vous dévoiler les surprises de la série.
Le second point fort de la série c’est sa partie graphique et ce tout au long des 25 numéros qu’elle durera.
Et d’entrée de jeu ça commence très fort avec la paire Chris Bachalo-Mark Buckingham.
Dans la carrière de Bachalo, cette série se situe juste après sa première mini-série sur Death et son X-Men Unlimited (et un Ghost Rider originel).
On est donc en présence du early Bachalo (la période préférée de votre serviteur) ce qui nous donne un style moins détaillé que par la suite mais qui compense cela par un sens du design et un jeu sur les ombres et les distorsions à couper le souffle en allant même se rapprocher du street art dans certaines cases.
Avec Bachalo, cette nouvelle série tranche complètement avec le tout venant Marvel de l’époque alors rempli de clones Jim Lee, Todd McFarlane ou autres Rob Leifeld et se trouve une identité visuelle dès les premières pages.
Le résultat s’avère tellement puissant et original que le jeune artiste se retrouve débauché après seulement 3 numéros par l’écurie X pour lancer Generation X.
Mark Buckingham et son collègue Peter Gross, lui aussi échappé de l’écurie Vertigo, assurent l’intérim le temps de conclure le premier story-arc sans que la continuité graphique ne soit réellement rompue.
Pour une fois décidément inspirée, Marvel remplace le jeune prodige par un autre nouveau dessinateur ayant rejoint leurs rangs avec le rachat de Malibu Comics : Kyle Hotz.
Ce dernier s’est fait un petit nom sur la série Nightman (sorte de Batman insomniaque et de fortune modeste) et trouve un tremplin propre à une meilleure exposition de son talent sur GR 2099.
Hotz arrive sur la série avec ses propres influences (Bernie Wrightson, Kelley Jones et les films Hammer) mais son graphisme conserve l’atmosphère d’inquiétante étrangeté mise en place par son prédécesseur.
La folie se trouve plus ici dans l’aspect grotesque des personnages que dans le découpage.
Le nouveau dessinateur accompagne le motard du futur jusqu’à la conclusion de la première année de la série.
Year two – Ghost in the Machine:

« We are spirits in a material world »
La seconde année du titre se déroule comme le reste de l’univers 2099 sous l’égide de l’évènement 2099 A.D.
De façon nette, Ghost Rider est la série qui intègre le mieux les conséquences de l’event secouant le futur marvelien, Kaminsky réussissant à utiliser le nouveau statu-quo pour relancer sa série sous un nouvel angle.
Cette seconde période commence avec un épisode désarçonnant le lecteur au premier abord puisque Doom, ayant passé un marché avec les « créateurs » de Ghost Rider, reconstruit et reprogramme ce dernier comme marshall de Transverse City, cité-autoroute s’étendant de Detroit à Chicago, chaque étage étant dévolue à une couche de la société de la plus riche à la plus pauvre.
Sous le vernis très Judge Dredd/Robocop de ce nouveau postulat, le scénariste joue sur deux pistes parallèles, développées par une astuce très sympathique que nous vous laissons découvrir, jusqu’au numéro 25 qui constitue la conclusion (réelle) de la série.
La première direction s’intéresse principalement aux conséquences que peut avoir un changement de vie sur l’entourage d’une personne.
Le scénariste traite ici des réactions de rejet que peut connaître quelqu’un tant de la part de ses anciens amis que de la part de son nouvel entourage.
L’intégration d’un étranger quel qu’il soit dans un nouveau système se fait toujours de manière ardue et avec un lourd prix à payer.
La seconde piste concourt aussi à ce passage à l’âge adulte du personnage principal par un cheminement à la fois plus introspectif et très cyberpunk dans la forme.
A cette occasion, Kaminsky recentre le propos sur son personnage principal et le creuse encore plus tout en réglant au passage les mystères sur le cyberspace.
Il applique donc ici le traitement qu’il avait apporté à la société de Transverse City et donne une véritable consistance aux deux grains de sable de celle-ci.
L’espace virtuel prend au passage un tour beaucoup plus inquiétant… en tout cas, encore plus qu’à l’origine.
On est pas encore dans Serial Experiements Lain mais ça commence à s’en rapprocher.
Pour la partie graphique, la série trouve enfin un dessinateur régulier qui gardera les pinceaux jusqu’à la fin.
Marvel, faisant à nouveau preuve de nez sur cette affaire, décide de confier la série à un autre tout jeune artiste au style original qui réalise ici ses premiers travaux: Ashley Wood.
Si son graphisme tout « Sienkiewiczien » couplé au changement de direction de la série a pu provoquer des réactions de rejet chez certains, il colle en tout cas parfaitement aux nouvelles ambiances du titre.
Ses jeux de couleurs et l’impressionnisme de son trait renforcent le cheminement intérieur du héros et donnent une apparence toute onirique au cyberspace et aux adversaires de Ghost Rider comme si ce monde technologique prenait vie tel un cauchemar de David Cronenberg.
Au final, si l’aspect le plus apparent de la série est son côté « laboratoire graphique pour artistes en devenir », il serait dommage de la réduire à cela et de passer sous silence les qualités scénaristique d’un auteur qui, pour une fois, déborde d’inventivité dans un récit d’action plus intéressant qu’il ne pourrait l’être au premier abord.
Une vrai bonne surprise et un titre tellement riche en idées en tout genre que cet article ne peut donner qu’une vue parcellaire de la série.
Prochain arrêt : X-nation 2099 et Fantastic Four 2099 (un seul article suffisant bien largement pour ces deux séries).
