
Vous pouvez retrouver la première partie de l’article ici
Sauf qu’en 1984 le torchon brûle, et pas qu’un peu, entre Mantlo et Shooter et que les deux hommes sont alors dans une guerre ouverte digne des dirigeants d’un camp politique en période de primaires électorales.
Le scénariste et l’EIC ont tous les deux bien changé, ne peuvent plus se supporter et s’accusent l’un l’autre des pires maux.
Même encore de nos jours, et alors que son ennemi ne peut plus répliquer, Shooter a des mots très durs envers Mantlo qu’il traite de mauvais scénariste (alors qu’il en chantait les louanges au début de la décennie 80), accuse d’âpreté au gain, de duperie (car plus tard Mantlo attaquera Marvel en justice après la rupture de son contrat) et d’être l’auteur de multiples plagiats.
L’accusation de plagiat n’est pas tout à fait injuste tant il est vrai que Mantlo, véritable éponge, laisse transparaître plein d’influences au travers de son travail.
Surtout, Shooter n’a jamais vraiment pardonné à son scénariste un épisode de Hulk plagiant (réellement cette fois-ci) une nouvelle d’Harlan Ellison à qui la compagnie dut verser un dédommagement afin d’éviter une action en justice.
L’accusation d’avoir plagié un projet de graphic novel de Barry Windsor Smith sur Hulk est plus sujette à caution puisque BWS n’a révélé cette histoire seulement qu’en 2003 et qu’il est impossible de prouver la véracité de ses dires (le GN devait révéler les traumas enfantins de Bruce Banner et présente des similarités avec un épisode du run de Mantlo).
Du côté de Mantlo, le son de cloche est tout autre et il dénonce les pressions qu’exerce Shooter sur les editors pour qu’il reste sur des séries périphériques puisque l’EIC ne peut pas le licencier (on y revient plus loin).
Mais la brouille entre les deux découle surtout de plusieurs faits extérieurs.
Le début des années 80 est marqué par les procès de Jack Kirby et Steve Gerber contre Marvel quant à la reconnaissance de leurs droits sur les personnages qu’ils ont créés.
Shooter, soucieux d’éviter d’autres désagréments, commence à serrer les vis des créateurs afin d’éviter tout autre procès et impose aux scénaristes de ne plus créer de nouveaux personnages dans l’univers Marvel.
Hors cela ne passe pas auprès de certains scénaristes au rang desquels Chris Claremont et Bill Mantlo, grand créateur devant l’éternel (outre 99% des séries Rom et Micronautes, il a aussi donné naissance à White Tiger, Cloak and Dagger, Firestar, 3D-Man, Jack of Hearts, les Super Soldats Soviétiques..) qui passent outre ces consignes et continuent de plus belle.
Parallèlement, Mantlo s’est pris d’intérêt pour la justice et utilise ses deniers pour suivre des études de droits en parallèle de son travail chez Marvel.
Du coup, il suit avec un intérêt certain les développements des affaires Kirby et Gerber et commence à s’intéresser à la défense des droits des artistes (ce qui l’emmènera plus tard à s’opposer encore plus fortement à Shooter mais nous y reviendrons lorsqu’on parlera des MGNs de Cloak & Dagger).

Surtout, Bill Mantlo est devenu le protégé de Barry Kaplan, le directeur financier de Marvel et grand ennemi de Shooter dans la manière de diriger la compagnie.
Inutile de vous dire que Kaplan tenant les cordons de la bourse, il eut souvent le dernier mot.
En devenant ami avec Kaplan en 1978, Mantlo a réussi à décrocher ce que peu d’autres scénaristes de la même époque purent avoir, à savoir un statut de salarié de la compagnie, cette dernière s’engageant alors à fournir du travail en permanence au scénariste.
Du coup, l’editor in chief n’a aucun pouvoir pour licencier le scénariste et peut simplement influer sur le choix des séries qu’il fournit à l’auteur.
Clairement, si l’on se place du point de vue de Shooter, la situation lui donne l’impression de tenir une bombe à retardement entre les mains.
Un scénariste sur lequel il n’a qu’un pouvoir limité, qui s’intéresse de plus en plus aux questions de droits et de propriété intellectuelle et qui est de surcroît sous la protection de son pire ennemi.
Autant dire que pour lui, Mantlo constitue un problème voire une menace pour son poste.
Quant à Mantlo, il voit de plus en plus Shooter comme un supérieur au comportement autoritaire voire abusif et manipulateur afin de garder les artistes sous sa coupe et déniant les droits de ces derniers.
Bref, c’est la guerre, les coups et les engueulades pleuvent de part et d’autre et personne n’est tout blanc ou tout noir, la vérité devant une fois de plus se situer entre ces deux points de vues.
Si Mantlo est encore dans une position forte en 1984, Shooter commence à jouer de son influence sur les editors pour réduire le nombre de séries du scénariste.
Ainsi, il se voit débarqué de Spectacular Spider-Man, Micronauts et Transformers (après seulement deux épisodes pour cette dernière) et ne conserve que Rom et Hulk tandis que Shooter lui refuse Secret Wars pour l’écrire lui-même.
Du coup, le scénariste se replie de plus en plus sur des mini-séries mettant en scène ses propres créations : X-Men and The Micronauts, Jack of Hearts et Cloak & Dagger.
Parallèlement, il propose ses deux nouveaux projets au label Epic dirigé par Archie Goodwin.
Shooter détestant le concept des Derangers, la série sera maintes fois annoncée puis repoussée avant que, de dépit, Mantlo les fassent apparaître au détour d’un épisode d’Alpha Flight pour les tuer aussitôt.
Heureusement, le scénariste réussit à faire accepter Swords of the Swashbucklers qui, comme bien des séries Epic, commence d’abord par un détour dans la collection Marvel Graphic Novel.
« Le lendemain d’une tempête, la jeune Domino trouve un étrange objet sur la plage et tombe dans le coma en le touchant.
Pendant ce temps, à l’autre bout de l’univers, les pirates interstellaires menés par la belle Raader sont en pleine guerilla avec l’armée des colonisateurs.
Le lien entre les deux jeunes femmes sera révélé au travers d’une aventure dont dépend le sort de deux galaxies. »

Une fois de plus, Mantlo crée un nouvel univers de toutes pièces à la fois classique mais traversé de pointes d’originalité qui rendent son histoire attachante et donnent envie de lire la suite.
Car pour le coup, on est vraiment dans un récit introductif dont la page finale n’est finalement que le début de l’aventure.
Avant cela, le scénariste arrive à poser toute une galerie de personnages tous bien caractérisés et recelant assez de potentiel et d’ambiguïté pour alimenter la future série régulière.
De ce point de vue, c’est un auteur parfaitement marvelien, comme Claremont encore une fois, et il n’hésite pas à planter ça et là des sub-plots et des éléments qui accrochent le lecteur tant tous les rapports entre les personnages semblent encore une fois en équilibre instable.
Ainsi du lien mystérieux entre Servitor et Spyeye, des atermoiements de Raadek qui semblent parfois mal à l’aise dans des bottes de capitaine trop grandes pour elle et entretient des rapports conflictuels avec son équipage ou de l’effrayant Logik qui porte décidement bien son nom.
Mais c’est véritablement Raadek qui intéresse le scénariste, puisqu’il dédicace son graphic novel aux célèbres femmes pirates Anne Bony et Mary Reid, et s’intéresse à comment ces femmes ont réussi à se faire une place dans un milieu aussi violent et chaotique que celui de la piraterie.
L’histoire paye son tribut à divers pans du Space Opera au premier plan desquels Star Wars évidemment mais aussi Star Trek, Captain Harlock ou les propres Micronautes de l’auteur et annonce le futur univers Spelljammer d’AD&D.
Et surtout, l’histoire revient aux racines du genre, ces récits sur ces nouveaux explorateurs qui bravèrent l’inconnu et l’ordre établi afin de se créer leurs règles propres.
On est littéralement ici dans une « île au trésor » spatiale tant, une fois dépouillé de ses éléments « science-fictionesques », on a ici un parfait petit récit de pirates qui fonctionne encore efficacement de nos jours.
Parmi les points à noter, on remarque encore une fois l’attrait de Mantlo pour l’horreur, la nouvelle chair et la folie, ici sur le mode mineur vu que le récit est plutôt de nature lumineuse, avec les personnages de Spyeye, l’animal de compagnie de Raadek qui est…. un cerveau flottant capable de pénétrer (au sens littéral du terme) le crâne des gens pour les contrôler, ou de Logik, sorte de Spock dont la logique serait tellement poussée à son maximum qu’il en deviendrait inhumain.
Pareillement, Mantlo ne peut s’empêcher de donner une claque à Shooter au travers d’une bagarre de taverne dont les dialogues sonnent clairement comme une charge contre l’editor in chief.
Histoire de bien appuyer son propos, le scénariste place malicieusement dans cette scène deux « objets du scandale » qui ont du faire s’étouffer Shooter dans son bol de céréales du matin, à savoir Howard the Duck et Cerebus, Dave Sim étant à l’époque poursuivi par Marvel pour son Wolveroach parodique.

Et histoire d’en rajouter une coucher, il place Jim Shooter dans les remerciements en le qualifiant ironiquement de « creators’ best friend » (le meilleur ami des créateurs).
Tout aussi ironique mais plus amère est la condition que traverse le personnage de Domino qui devient très émouvante tant elle est prophétique du triste destin de Bill Mantlo (son œuvre en général contient d’ailleurs plusieurs passages du même genre qui prennent a posteriori une résonance douloureuse).
Seul problème, les dialogues pêchent un peu comme souvent chez Mantlo qui essaie de camoufler la platitude de ses dialogues derrière des tournures grandiloquentes assez claremontiennes.
De son côté, Jackson Guice franchit un palier artistique sur cette histoire et commence à s’émanciper du style de Michael Golden dont il s’était rapproché sur les Micronautes même si cette influence est toujours là au travers d’une « rondeur » du trait plus prononcée que sur ses travaux plus tardifs.
Dessinateur maniéré et amateur de femmes qui posent, Guice est capable de facilement céder au plaisir coupable des pages pin-ups surtout qu’il possède un talent de « faussaire » assez certain quitte à utiliser des références photographiques pour cela.
Ce travers mettra d’ailleurs plus tard Marvel dans l’embarras puisque le management d’Amy Grant portera plainte pour préjudice porté à l’image d’une chanteuse chrétienne utilisée contre son gré dans un comic book « sataniste » (sic).
Heureusement, il évite ce tic sur ce Graphic Novel même si ces femmes sont comme toujours charmantes et surtout bien distinctes les unes des autres par rapport à bon nombre de dessinateurs de good babes art.
Il suffit pour cela de comparer la plantureuse Raader au formes timides de Domino pour voir que le dessinateur ne régurgite pas le même modèle féminin encore et encore.
Pareillement, par rapport à ses Micronautes, il progresse au niveau de la composition de ses cases afin d’éviter une certaine monotonie à la lecture de ses planches et commence à expérimenter certains gimmicks qui seront la marque de son style.

Dessinateur à la base assez statique, il appuie les mouvements de ses personnages par de multiples petits traits de mouvements ou de surprise, commence à adopter un découpage plus cinématographique afin de varier les plans, place ses personnages dans des positions et des perspectives déséquilibrées directement héritées de Gil Kane dans les scènes d’actions et commence à saisir l’importance des mains qu’il utilise souvent afin d’entourer les visages et de leur donner plus d’expressivité.
Un dessinateur certes besogneux pour l’instant mais qui a conscience de ses carences et essaye d’y pallier donc.
C’est surtout aux niveau des finitions finalement qu’excelle Guice et c’est tant mieux tant son graphisme volatile est tributaire de l’encrage.
Contrairement à beaucoup d’autres dessinateurs (John Byrne vient tout de suite en tête), son trait est souvent mieux servi par son propre encrage que par celui d’un tiers et il arrive à donner du relief à ses planches par son usage discret mais judicieux des ombres, sachant parfaitement alterner lignes fines et masses d’ombres.
Certes, on a encore droit à quelques erreurs de perspectives et de proportions ici ou là (Guice a tendance a dessiner des jambes un chouïa trop longues) mais l’on sent un net progrès.
A cela, il faut rajouter les très belles couleurs d’Alfred Ramirez dont la palette parvient par moments à donner une dimension plus onirique au graphisme « réaliste » du dessinateur.
Donc, et même si ses auteurs ne furent jamais des superstars ou des génies du médium, si vous aimez les récits mainstream de qualité, la série B sans prétentions mais faite avec amour et sérieusement, si vous voulez une bonne dose d’action, d’aventure, de grands sentiments, de féérie (et un peu d’horreur aussi) et si vous avez envie de délaisser un peu les superslips, n’hésitez pas à investir dans ce Marvel Graphic Novel (souvent oublié car paru entre Starstruck et Raven Banner) et les 12 numéros de la série Epic.
Si tout cela est inédit en VF, l’intégrale de Swords of the Swashbucklers a été reprise récemment en TPB chez Dynamite, donc n’hésitez pas!
