
« BOUM !!
C’est la pensée qui occupe la tête du petit Lance.
Le gamin voit la menace nucléaire partout et se prépare son refuge survivaliste pour lui et son père.
Son père, le massif Bullet, agent gouvernemental dont les commanditaires sont en chevilles avec la Kelco, entreprise pollueuse en lutte juridique contre l’association écologique Planète Verte.
Planète Verte qui vient chercher conseil auprès de Matt Murdock pour faire tomber la Kelco. »
BOUM !!
C’est l’explosion du talent d’Ann Nocenti qui parvient enfin à trouver un équilibre dans son écriture, à la raffiner, à lui donner plus de puissance, plus d’originalité tout en devenant aussi plus respectueuse du passé de la série.
Car l’une des premières caractéristiques sautant aux yeux dans cet épisode anniversaire (non double pour une fois, ce qui est assez rare chez Marvel pour être signalé), c’est la manière dont elle arrive enfin à raccrocher les wagons avec l’univers « millerien » et à trouver une sortie de la situation problématique (pour les scénaristes) en vigueur depuis la conclusion de Born Again.
En faisant de Murdock un conseiller juridique bénévole, elle renoue avec le questionnement sur la loi et la justice qui faisait tout le sel des épisodes de Frank Miller.
Car comment concilier ces deux idées, la loi n’étant pas nécessairement la justice et la justice n’étant pas nécessairement la loi ?
C’est donc la dualité profonde de Murdock/Daredevil qui revient sur le devant de la scène même si il trouve un nouvel équilibre, une nouvelle joie en retrouvant de manière indirecte sa vocation et ses activités de bon samaritain qu’il partage enfin sans masque avec Karen Page (enfin si, mais vous nous avez compris).
Heureux en amour, heureux en tant que justicier, heureux d’aider les nécessiteux à s’en sortir au travers des méandres de la loi, tout roule donc pour le mieux pour Daredevil.
Même si bien sûr, comme dans toute grand run sur le justicier aveugle, ce bonheur relatif n’est qu’un prélude à la chute.
A l’autre extrémité du spectre, on assiste au retour du couple Foggy Nelson – Glorianna O’Brien qui semble déjà au bord de la séparation, l’idéalisme de la jeune femme se heurtant au pragmatisme de l’avocat.
Nelson en décidant de fermer les yeux sur les activités de la Kelco et en s’asseyant sur ses principes au profit de la réussite personnelle permet à la scénariste de questionner les conflits moraux agitant la conscience des avocats.
Car si toute personne à le droit d’être défendue, qu’en est-il lorsque l’on se trouve à représenter un coupable sans circonstances atténuantes ? Un violeur ? Un assassin de sang froid ou autre ?
Comme le médecin ou le soldat dans leurs domaines respectifs, combien de temps un avocat peut-il participer à l’horreur, à l’absurdité du monde avant de renoncer ou de craquer ?

Comme on le voit donc, si Ann Nocenti continue de creuser les sujets qui la passionne, elle décide à présent de ne plus nécessairement dénoncer mais de poser les questions en jouant sur les extrêmes et les opposés.
Faire réfléchir et pousser le lecteur vers son propre questionnement aura toujours plus de force que la dénonciation pure, simple et aveugle et si la Kelco apparaît comme coupable et pourrie, la scénariste viendra nuancer cela avec les révélations des épisodes suivants.
Outre la justice et la loi, Nocenti aborde et entremêle au cours de cet épisode les différentes questions des externalités négatives des entreprises, du lobbying dans le système américain, de la menace nucléaire, de la transmission de la mémoire, du pouvoir des images, des relations entre les parents et les enfants et des rapports de ces derniers avec la violence du monde des adultes.
L’impact de la violence du monde et des actes des adultes sur les innocents est d’ailleurs l’un des grands thèmes traversant toute l’oeuvre de la scénariste et on ne compte plus les figures de candides qui questionnent l’absurdité de notre société dans son corpus: les Fatboys, Longshot, Warlock, Kid Eternity, Number 9, Ahura…
Tout le background parallèle sur la menace nucléaire est symptomatique de l’écriture nouvelle d’Ann Nocenti.
Car finalement qui a raison et qui a tort ?
L’instituteur qui veut transmettre son savoir et avertir des enfants trop jeunes pour comprendre la complexité et l’horreur de cette question et dont la volonté est certes noble mais dont l’action traumatise le jeune Lance ?
Les mères qui veulent maintenir leurs progénitures dans un cocon « disneyen » tout beau tout rose sans les préparer au monde qui les attends et qui préfèrent la diligence procédurière au dialogue, considérant que leurs problèmes sont plus important que ceux d’un drogué ou d’une personne agressée ?
Ou bien est-ce Bullet, cet homme prêt à tout céder à un fils qu’il adore mais ne sait pas comment élever et compense son incapacité à assumer son rôle de père par les cadeaux?
Si chacun d’entre eux est dans son droit, aucun ne réussit à donner de réponse parfaite ou tout du moins sans contrepartie négative.
La scénariste signe au passage un très beau portrait au travers du personnage de Bullet, ce mercenaire pour qui l’argent est l’alpha et l’oméga et permet de passer outre tous les principes humains mais qui rattrapé par son amour indéfectible pour un fils que l’on devine plus ou moins autiste (syndrome d’Asperger?) mais qu’il ne sait pas comment élever seul.
Avec les personnages de Lance et de Bullet, c’est finalement un beau miroir de l’enfance de Murdock et de sa relation à son père « Battlin’ Jack » qui nous est présenté ici et qui fait qu’il est foncièrement impossible de détester le vilain et qu’on arrive finalement à le trouver attachant; les hommes, y compris les plus mauvais, n’étant finalement jamais construits d’une seule pièce.

BOUM !!
C’est l’explosion graphique de John Romita Jr à la face du lecteur et ce dès la saisissante explosion nucléaire en ouverture de l’épisode.
Pour le lecteur français d’alors, la comparaison avec les derniers épisodes de JRjr sur Uncanny X-Men est saisissante tant ses progrès sont spectaculaires.
Les personnages sont beaux, bien proportionnés, dynamiques et expressifs.
Quant aux planches elles sont fortement imprégnées de construction cinématographique et d’une lisibilité sans faille.
Commençons par le seul point noir, les enfants.
Romita Jr a toujours échoué à en donner une représentation correcte sur papier et de son propre aveu il déteste les dessiner.
Il est finalement très ironique que des X-Men (l’épisode avec Power Pack) à Kick-Ass en passant par son Man Without Fear, il ait aussi souvent eu à en dessiner tout au long de sa carrière.
Autant dire que ses épisodes de DD ne font pas exception à la règle et que ses bambins ressemblent plus à des petits nains à grosses têtes assez semblables à ses poupées chinoises pour touristes en mal de gadgets qu’autre chose.
Mis à part ce point faible, le reste est de toute beauté.
Jamais Murdock n’aura été un tel Adonis et l’on comprend à chaque page pourquoi toutes les femmes lui courent après.
On appréciera entre autres la description de Bullet qui échappe alors aux représentations de vilains habituelles avec cette figure d’un homme gras, dégarni et approchant bien les 45 ans.
Autant dire que ça tranche d’avec les colosses bodybuildés de 20-30ans qu’on voit alors dans la plupart des comics.

On note aussi que les personnages de Romita ne possèdent pas « l’épaisseur », la « masse », le « gigantisme » qu’ils auront par la suite.
Même Bullett est tracé pour l’instant selon des proportions « réalistes ».
Ce que les personnages n’ont pas encore acquis en puissance, ils le compensent avec plus d’agilité et de mouvements qui rendent le tout extrêmement dynamique et qui contrebalancent bien la prolixité de Nocenti (là ou plus tard, ils auront parfois tendance à prendre la pose/pause).
Le dessinateur fait aussi preuve de belles initiatives graphiques ou de compositions comme l’explosion des yeux de Lance représentant celle de ses pensées ou bien la séquence d’introduction du général jouant à fond sur les jeux de regard et le recul progressif de la caméra.
Ou bien encore de cette planche où les sens de Matt lui font découvrir les actions du terroriste et représentent les pouvoirs du héros tout en faisant monter la tension.
N’oublions bien sûr pas l’apport d’Al Williamson qui développe un encrage tout en fines lignes parallèles et qui tient de la trouvaille de génie tant elle donne un caractère, une atmosphère, une identité graphique unique à la série.
Cette idée permet de retranscrire la « vision » bien spéciale du monde de notre avocat aveugle mais permet aussi de souligner la nausée des personnages dans les décharges à ciel ouvert, la grisaille étouffante et oppressive des villes et bien évidemment les zones grises de la loi et de la justice dans lesquelles naviguent les héros.
BOUM !!
Un nouveau départ et une introduction explosives !!
Et ce n’est que le début !
BOUM!! BOUM!! BOUM!! BOUM!! BOUM!!

Allez, je me lance ! Une chouette rétro pour ce démarrage de JR Jr sur DD ! Je n’avais jusqu’ici jamais fait le parallèle entre Bullet et son fils et Battlin’ Jack Matt ! Bien vu !
J’ai lu cet épisode dans le RCM Daredevil et je m’étais étonné que pour un numéro anniversaire comme le 250, DD n’apparaisse même pas en costume intégral dans les pages intérieures !
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Ah, enfin, Jean-Pascal.
Honnêtement, le parrallèle entre Bullet et Lance et les Murdock, je ne l’ai vu que lors de ma relecture pour écrire ces articles. Pour le reste, mis à part les centaines, les autres types d’anniversaires étaient plus rares dans les 80s que les 90s. Par exemple, le Uncanny X-Men 250 est un numero tout ce qu’il y a de plus normal en terme de pagination ou d’histoire
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