
Ce Marvel Graphic Novel est bien évidemment l’oeuvre du plus célèbre et meilleur chantre de la grande verte : John Byrne (qui s’amusa à caricaturer notre cher Postiche à sunglasses sur la couverture des Fantastic Four servant d’accroche à cette première partie d’article).
She-Hulk est un personnage dont les raisons qui présidèrent à sa création tiennent des préoccupations les plus bassement mercantiles.
On a vu précédemment dans d’autres articles les liens étroits qui commencèrent à s’établir entre Marvel et d’autres domaines (cinéma, jouets, musique…) avec l’arrivée de Jim Shooter et le succès de Star Wars.
Ceci a abouti à un chassé-croisé entre premières tentatives d’exploitation du catalogue Marvel sur d’autres supports (les téléfilms Spider-Man, la série TV Hulk… jusqu’à la création du crossover Secret Wars) et une location de licences à tout va afin de les adapter sur papier (Star Wars, GI Joe, Transformers, Kiss… et Dazzler).
Et finalement, la création de She-Hulk (et probablement celle de Spider-Woman aussi) ne tint que dans la volonté de la compagnie de couvrir ses arrières.
Pour cela, il faut se pencher sur la série The Six Million Dollar Man (L’Homme qui valait Trois Milliards en VF. Ah ! Les miracles des taux de change) qui est alors extrêmement populaire.
Face à ce succès, le producteur du show, Kenneth Johnson, décide de dupliquer la recette et lance un spin-off tout aussi populaire: The Bionic Woman (Super Jaimie en VF).
Hors, à l’époque, Johnson est aussi le producteur de la série TV Hulk dont le succès est au moins équivalent à celui du couple bionique.
Du coup, les dirigeants de Marvel prennent peur et craignent que Johnson puisse créer un spin-off féminin de Hulk dont les droits leurs échapperaient.
Afin de bloquer les droits de toute potentielle version femelle du géant de Jade, ils somment Shooter de créer cette fameuse She-Hulk.
L’Editor in Chief sort alors papy Stan « Iron Moumoute » Lee de sa pré-retraite et ce dernier créé en compagnie de John Buscema ce qui constituera sa dernière création jusqu’à l’apparition de chefs-d’oeuvre du 9ème Art tels que Solarman ou Ravage.

Une fois le premier épisode contant des origines classiques mais un peu tirées par les cheveux écrit, le Mighty Dentier encaisse son chèque et retourne parfaire son bronzage sous le soleil de Californie pendant que le staff de Marvel se retrouve bien embêté avec un personnage dont il ne sait que faire.
Et c’est ainsi que la série She-Hulk avance cahin-caha sans avoir grand chose d’autre à proposer qu’une femme au mauvais caractère (mais gentille) qui tabasse les méchants qui passent.
Comme pour son cousin, son caractère s’adoucira au fur et à mesure mais cela n’empêche pas la série de s’éteindre dans l’indifférence la plus totale.
Ne sachant toujours pas quoi en faire, le staff éditorial décide de lui faire intégrer les Avengers de Roger Stern où le scénariste la cantonnera au rôle de muscles de l’équipe sans en faire grand chose.
Toujours aussi encombrante, la belle se retrouve projetée dans les Secret Wars de 1985 histoire qu’on lui donne plus d’exposition.
Ce premier crossover étrennant la formule selon laquelle chaque event doit apporter son lot de changements, Shooter impose plusieurs modifications aux séries régulières histoire de marquer le coup.
Ainsi, il déleste Stern de ce personnage dont personne ne sait quoi faire et le confie à John Byrne (alors en charge des Fantastic Four) d’intégrer She-Hulk dans l’équipe en remplacement de The Thing.
Byrne se prend très vite d’affection pour ce personnage mal-aimé qu’il avait déjà illustré dans un épisode des Avengers et, comme il le fit avec Wolverine, lui donne la personnalité qui lui manquait alors.

John Byrne est né en Angleterre et c’est son amour pour la vieille série TV Adventures of Superman avec Georges Reeves qui déclencha sa passion pour les comics qu’il se mit alors à collectionner frénétiquement.
A l’âge de 8 ans, il déménage avec ses parents pour le Canada où il découvre les comics Marvel et la puissance du dessin de Jack Kirby qui scellent son envie de devenir dessinateur.
Il intègre la College School of Art and Design de l’Alberta où il produit un premier comic satirique sur le milieu des étudiants en Art.
Recevant ses premières propositions professionnelles, il quitte l’université avant l’obtention de son diplôme et, après quelques travaux pour des éditeurs oubliés, il intègre les rangs de Charlton Comics en 1974.
Il crée alors une première bande nommée Rog-2000 en compagnie de ses deux collègues Roger Stern et Bob Layton avec qui il noue une solide amitié.
Evidemment, lorsque Stern et Layton quittent Charlton pour Marvel, Byrne les suit dans la foulée.
Petit nouveau chez l’éditeur, John Byrne se trouve placé par les editors sur les séries les moins vendeuses de la compagnie afin qu’il se fasse les dents.
C’est ainsi qu’il rencontre un ancien assistant editor qui vient alors de passer scénariste, Chris Claremont.
Les deux compères se trouvent vite des points communs et parviennent à créer une émulation entre eux (parfois bien orageuse néanmoins) qui leur permet de très vite briller lors de leurs runs sur Iron Fist, Marvel Team-Up ou bien The Champions.
Les deux hommes produisent aussi au passage un magnifique one-shot sur le personnage de Star Lord.
Constatant la qualité du travail produit par les deux hommes, Shooter décide de retirer la série Uncanny X-Men des mains de Dave Cockrum (qui semblait alors du mal à tenir les délais) et en confie les destinées graphiques à Byrne.
Et c’est là que le duo explose et entre dans la légende.

Les idées fusent de toutes parts, le dessin de Byrne brille de mille feux et les deux hommes produisent une série d’aventures innovantes qui relancent définitivement les X-Men sur la voie du succès tout en faisant des stars de ses deux auteurs.
Dessinateur prolifique capable de dessiner deux séries par mois sans problèmes, Byrne effectue à la même période de petits runs parallèles sur les séries Fantastic Four, Avengers et Captain America ainsi qu’une mini-série Batman (rendue possible grâce à un espace libre de quelques mois avant le renouvellement de son contrat d’exclusivité avec Marvel).
Alors que leur run sur les X-Men touche à son apothéose, la corde casse entre les deux hommes qui passent leur temps à être en désaccord sur le devenir de la série (Byrne à comparé sa relation avec Claremont à cette époque à celle du duo théatral Gilbert & Sullivan).
Jim Shooter résout la situation en proposant à Byrne de reprendre la série qui constitue le graal du dessinateur depuis toujours, Fantastic Four, non sans lui faire promettre de lancer une série consacrée aux canadiens d’Alpha Flight.
Byrne traînera des pieds pour le second point.
Ainsi, la série consacrée aux alphans ne débutera qu’en 1983 et l’auteur prendra un malin plaisir à torturer dans tous les sens ces personnages pour lesquels il n’a ni affection ni plan (même à l’époque, Byrne déclarait partout que les héros d’Alpha Flight étaient inintéressants) ce qui fera paradoxalement tout l’intérêt de la série.
Parallèlement il fait des étincelles sur le célèbre quatuor où il assume enfin officiellement la fonction de scénariste en plus de la partie artistique.
Son run sur les Fantastic Four éclipse même ses épisodes des X-Men et vient se placer juste derrière celui de Lee et Kirby dans le coeur de bien des fans.
Il fait éclater tout son talent durant presque 6 ans même si ses défauts pointent ici ou là mais ce n’est pas le sujet du jour.

Lorsque paraît ce Marvel Graphic Novel fin 1985, l’âge d’or de Byrne touche à sa fin ( toutes ses œuvres postérieures seront très controversées… oui, même ses Avengers West Coast et ses Namor) tout en constituant le début d’une année verte (en fait 6 mois) pour l’artiste.
En effet, parallèlement au lancement de ce Marvel Graphic Novel, John Byrne a saisi l’occasion d’enfin quitter Alpha Flight en switchant sa série avec le Hulk de Bill Mantlo et Mike Mignola.
Planifiant un de ses fameux (et très questionnables) back to basis qu’il affectionne tant, sa reprise de Hulk sera finalement très vite écourtée et aboutira au départ précipité de l’artiste.
Car voilà, Byrne est certes un excellent artiste tout à la fois dessinateur, scénariste, encreur, lettreur extrêmement prolifique et capable d’une inventivité alors sidérante. Mais Byrne est aussi l’enfant terrible de la Marvel, un homme qui n’a pas son égo dans sa poche et a une vision très affirmée de l’industrie, ne supportant pas la contradiction et montrant peu de respect pour ses prédécesseurs (ses fameux « oubliez tout ce que vous savez, je vais vous montrer la vérité vraie ») ou ses camarades de jeu, une grande gueule se fritant jusqu’à l’absurde avec quiconque n’est pas d’accord avec lui.
Et autant dire que son ego ne fit qu’enfler au fur et à mesure de ses succès (mérités) et qu’à la fin de sa première période « marvelienne », l’auteur s’est fait bon nombre d’ennemis au sein du Bullpen parmi lesquels Chris Claremont (évidemment) mais aussi Dave Cockrum et sa femme Paty (membre du bureau de Sol Brodsky), Larry Hama, Peter David…et surtout Jim Shooter avec lequel il ne cesse d’alterner les engueulades homériques fort de sa position de star absolue de la compagnie.
L’antipathie qui s’est développée entre les deux hommes est telle que Byrne organisa une immense fête le jour où Marvel licencia Shooter et les deux ennemis continuent à allègrement s’accuser des pires maux de nos jours via le net.
Autant dire que ça sent la fin de règne pour John Byrne (pour Shooter aussi d’ailleurs) lorsqu’il produit ce Graphic Novel qui, une fois de plus, ne devait pas en être un à l’origine.
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