
Transition habile après Greenberg The Vampire puisque ce Marvel Graphic Novel ne contient certes pas de vampires mais est illustré par un artiste célèbre (entre autres) pour ses portraits vampiriques.
On passe à nouveau sur la carrière de Chris Claremont, déjà présenté précédemment ici et surfant alors toujours sur la vague du succès grâce à son run historique sur Uncanny X-Men, et parlons plutôt de l’artiste qui l’accompagne ici : John Bolton.
Né en 1951 à Londres, John Bolton suivit d’abord les cours du West Ham Technical College (institution qui a aussi eu pour élèves Barry Windsor Smith et Gerald Scarfe) avant de se lancer professionnellement dans l’illustration.
Ainsi, il commence d’abord par illustrer un livre consacré aux chevaux avant d’intégrer le petit monde de la bande dessinée anglaise dans la seconde moitié des seventies.
Il se fait vite remarquer au sein des pages des magazines Look In et House of Hammer (qui publie des adaptations des films d’horreur de la mythique Hammer donc) par la grâce de son trait fin, détaillé et « ultra-réaliste » inspiré entre autres des travaux de Bernie Wrightson et de Hal Foster.
Il produit parallèlement moult illustrations, publicitaires ou non, pour divers éditeurs et met aussi en image un livre consacré à sa grande passion: les échecs.
Il intègre ensuite les rangs de la toute récente branche Marvel UK qui lui servira de marchepied pour entamer un carrière américaine.
Repéré par l’editor Ralph Macchio, il commence alors à travailler pour la maison-mère en 1981 et produit plusieurs couvertures et récits plus ou moins courts, que cela soit pour Kull the Conqueror, Epic Illustrated ou Bizarre Adventures.
Soucieux de garder à la fois un pied sur chaque continent et chez les indépendants, il fournit aussi son lot d’illustrations et de pages pour des magazines aussi divers que Warrior, Heavy Metal et des éditeurs tels que Pacific ou Eclipse.
Mais c’est en travaillant sur une histoire pour Marvel dans le cadre de l’anthologie Bizarre Adventures que Bolton rencontre rencontre Claremont et qu’une forte amitié entre les deux artistes se développe rapidement.
C’est d’ailleurs au sein des pages de de Bizarre Adventures que les deux hommes auraient dû publier Marada the She-Wolf même si cette dernière et le cadre de l’histoire aurait été bien différent.
En effet, les deux auteurs avaient, à l’origine, produit une histoire mettant en scène… Red Sonja.
Sauf que le récit est rapidement rejeté pour de sombres histoires de droits entourant la pré-production du nanard cinématographique avec Brigitte Nielsen (qui ne débarquera finalement qu’en 1985).
Cet imbroglio juridique explique que Marvel ne publia aucun comic book mettant en scène la diablesse rousse entre 1979 et 1983.
Mais c’est bien mal connaître Claremont, scénariste obsessionnel toujours prêt à remanier ses récits afin de faire aboutir ses idées et à retomber sur ses pattes quelques soient les acrobaties qu’il doit effectuer pour arriver à ses fins.
Il suffit de regarder la longue affaire autour de Jean, Scott, leurs enfants, leurs clones et leurs manipulateurs étalée quasiment sur tout son run d’Uncanny X-Men pour constater cela.
Ne se démontant pas, il part démarcher Jim Shooter et Archie Goodwin et leur soumet les planches déjà produites par Bolton en leur demandant s’il n’y aurait pas un moyen de quand même publier cette histoire.
Passablement impressionnés par les dessins de Bolton, les deux hommes acceptent de publier l’histoire sous réserve que toutes mentions à Sonja et à l’univers de Conan disparaissent.
Enchantés, les deux auteurs acceptent ce marché tout à leur avantage, les droits de la série leur appartenant, label Epic oblige.
Claremont retravaille rapidement le tout en déplaçant le contexte dans le cadre d’une Rome antique pseudo-historique traversée de bouffées fantastiques et Red Sonja devient Marada la louve aux cheveux d’argent, descendante de la fille de César et d’un prince étranger, rejetée par Rome.
Et c’est ainsi que Marada commence à être publiée en 1982 au sein d’Epic Illustrated sous la forme d’un serial en noir et blanc semi régulier.
Devenant assez vite populaire, elle fera une assez jolie carrière dans la revue avant de disparaître pour cause d’auteurs accaparés par de multiples projets.
Pourquoi donc Marada ressurgit-elle dans la collection Marvel Graphic novel en 1986 ?
Afin de surfer sur la popularité du personnage et de ses auteurs, of course.
A cette époque, tout ce qui est signé Claremont se vend comme des petits pains tandis que les prestations de Bolton lui ont valu la reconnaissance du public et de la profession (il travaille alors régulièrement sur les anthologies indépendantes publiées par son ami Bruce Jones).
Quant à la relation entre Claremont et Bolton, elle est toujours au beau fixe.
Les deux auteurs viennent alors de terminer une mini-série intitulée Black Dragon pour le label Epic et produisent alors des histoires inédites agrémentant les pages des rééditions Classic X-Men.
Du coup, Marvel compile les aventures Marada (des trois publiées dans Epic Illustrated, la dernière restera sur le carreau pour des raisons de pagination) dans l’écrin grand luxe que représente alors un MGN et qui permet à Bolton de retravailler ses planches (quelques cases sont modifiées ça et là) tout en signant lui-même la mise en couleurs.
« Marada est connue pour être la plus féroce guerrière de son époque, une femme qu’aucun homme ne peut prendre contre sa volonté.
Alors pourquoi donc Donal Mac Llanllwyr retrouve-t-il, lors d’une embuscade, une Marada enchaînée et prostrée ?
Quel événement a fait de la farouche combattante une femme soumise, traumatisée et craintive ?
C’est ce que vont essayer de découvrir Donal et sa fille Arianrhod.
Mais dans l’ombre, les puissances responsables de l’état de Marada comptent bien ne pas laisser leur proie leur échapper aussi facilement. »

Et qu’obtient-on au final ?
Hé bien, tout ce qui brille n’est pas forcément de l’or et le Marvel Graphic Novel de Marada est finalement plus anecdotique qu’il n’y paraît voire quelque peu problématique.
Et finalement, ça tient beaucoup à l’écriture de Claremont.
Au premier abord, les deux aventures qu’il nous conte là ne sont pas plus mauvaises que d’autres et son ton un peu pompeux s’adapte finalement assez bien au genre « sword & sorcery ».
Et puis bon, il y a de la pépée, des combats, du vilain sorcier, des démons et du tentacule libidineux donc tout cela est parfaitement distrayant.
Malgré tout, l’ensemble reste un peu plat dans son déroulement et tellement classique que passé le côté « distraction », il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent qui pousserait à la relecture.
Beaucoup plus embêtant est le fait que, comme l’affaire X-Statix/Lady Di, la première histoire a réellement été pensée comme une histoire sur Red Sonja et ça se ressant à toutes les pages laissant ainsi une drôle d’impression au lecteur.
Marada remplace l’hyrkanienne jusque dans son « vœu de chasteté » guerrier, Donal remplace plus ou moins Conan et Simyon Karashnur est un clone à peine voilé de Kulan Gath.
Quant au plot « choquant » autour duquel s’articule le récit… SPOILER (le viol de Marada) SPOILER…
Hé bien, disons que tout le sel de celui-ci vient du fait qu’il aurait dû briser les fondamentaux de Red Sonja.
Sauf que dans le cas d’un personnage inconnu du lecteur, succinctement présenté en quelques lignes en prose sur la première page et qu’on nous livre directement dans sa phase « traumatisé » ça ne fonctionne pas.
L’intérêt d’un tel « événement » dans une histoire c’est principalement la rupture qu’il introduit.
Si l’on ajoute à cela que la reconstruction psychologique de Marada est traitée par-dessus la jambe et qu’après de loooooongs chouinements typiquement claremontiens, elle se reprend d’un coup dès que les méchants pointent le bout de leur nez pour leur éclater les roustons comme si de rien n’était, on est loin d’avoir un résultat fameux.
Et histoire d’en rajouter une couche, Claremont se prend les pieds dans un plot de double psychique/âme partagée qui n’a rien a envier à l’imbroglio Magneto/Onslaught/Joseph et qu’il laisse tomber entre deux pages sans plus d’explications.

La seconde histoire en deux parties fonctionne déjà mieux avec son remake des Chasses du Comte Zaroff même si du coup l’épisode semble encore plus anecdotique.
Mais surtout, le principal problème de tout ça vient d’un Claremont qui semble avoir joui d’une grande liberté éditoriale (creator-owned oblige) et qui se laisse grandement aller dans ses fantasmes troubles où la victime devient consentante aux désirs de son bourreau.
Ainsi, il y a comme une impression malsaine qui surgit au fur et à mesure de la lecture de la première partie de par les phrases prononcées par Marada:
« It is not a woman’s place to fight. Only to submit. (…) I am yours, milord, to do with as you will »
(« Ce n’est pas le rôle d’une femme que de se battre. Seulement se soumettre (…) Je suis votre, Monseigneur, pour faire de moi ce que vous voulez »)
Et lorsque celle-ci conte enfin l’expérience qu’elle a subi et les raisons de son changement d’attitude, le malsain laisse la place à un certain dégoût tout en nous faisant nous questionner sur les fantasmes de l’auteur.
« And when that endless night finally came to an end and he returned to his maggot-ridden realm, I… begged him to stay »
(« Et quand cette nuit sans fin s’acheva finalement et qu’il retourna dans son domaine infesté de vers, je… le suppliais de rester »)

Quant au passage « des fleurs », il ne fait qu’enfoncer un clou pourtant déjà bien planté dans la planche.
La seconde histoire est moins tendancieuse même si on a encore un méchant libidineux de service mais Claremont continue toujours dans ses obsessions personnelles avec un clone de Callisto et des amours lesbiennes non-assumée très « Xena » ainsi… qu’un Phénix.
Bref, vraiment pas le meilleur travail de Papy qui semble trop livré à lui-même et aurait gagné à bénéficier d’un suivi éditorial plus soutenu pour éviter certains détours qui se voulaient « adultes » mais qui s’avèrent malaisants.
Du côté de Bolton, c’est graphiquement superbe, ça c’est clair et net.
Sa colorisation est parfaite et il faudrait vraiment être un ayatollah du noir et blanc pour préférer une version à une autre.
Du très beau travail où les couleurs peintes ultra-travaillées viennent rehausser et s’intégrer parfaitement aux jeux d’ombres et de lumières qu’il avait fourni à l’encre; bien des coloristes modernes feraient bien de se pencher sur cet album et d’en prendre de la graine.
Ses personnages sont parfaitement proportionnés, ses femmes sont sensuelles sans céder à des canons esthétiques démesurés et il évite même plus ou moins le stéréotype du « bikini en métal ».
Il excelle particulièrement dans les décors et les costumes, parfait mélange de recherches historiques et d’imaginaire légendaire classique.
C’est tout simplement beau et l’on peut passer des heures et des heures à contempler tel ou tel détail.
Mais voilà, contempler, pas lire.
Et c’est là où le bât blesse du côté graphique.
Bolton n’est pas un vraiment un narrateur et en franchissant, avec son passage à la couleur, un pas de plus dans le photo-réalisme, le dessinateur fige encore plus son dessin qui n’était déjà pas l’un des plus « vivants » qui soit malgré son esthétisme classique irréprochable.
Et cet trait est encore accentué par les pavés narratifs et le lettrage serré de Tom Orzechowski.
C’est beau mais extrêmement froid et finalement, le choix ultérieur de John Bolton de se consacrer principalement à l’illustration est un signe d’intelligence d’un artiste qui connait ses forces et faiblesses.
En conclusion, on a surtout un très bel art book ce qui fait de ce Marvel Graphic Novel une œuvre dispensable sauf pour les amateurs de beaux dessins « photo-réalistes ».
Pour ceux qui voudraient tenter l’aventure, les aventures de Marada furent traduites par deux fois en français.
Les chineurs pourront, au choix, tenter d’acquérir la revue Epic en VF ou bien les deux albums parus chez Delcourt il y a bien longtemps.
Les plus impatients et les anglophones peuvent quant à eux se procurer la récente réédition TPB parue chez IDW.
Et après les inconnus du Marvel Universe (puisque l’univers de Marada entretient quelques liens lointains avec le reste de l’oeuvre de Papy), le prochain Marvel Graphic Novel sera consacré à l’icône de la compagnie.
