
Et Peter David continue donc sur le terrain polémique avec la trilogie War & Pieces dont le subplot courait depuis l’épisode 380 et qui avait motivé l’intégration de Bruce Banner au Panthéon.
Pour le coup, David va réussir une alliance quasi-parfaite entre réflexion géopolitique, évolution des personnages et usage habile de gimmicks commerciaux.
« Hulk, Rick Jones et le Panthéon envahissent donc l’état fictif du Trans-Sabal afin d’aider les rebelles à renverser le tyran du pays.
Ce dernier, Farnoq Dahn, est soutenu en sous-main par la CIA et le gouvernement américain.
Ces derniers envoient la nouvelle équipe officielle de X-Factor soutenir Farnoq qui s’avérera au final bien plus incontrôlable et cruel que les USA pouvaient le penser.
Chaque groupe de héros va se retrouver confronté à sa propre morale quant à la résolution de cette crise mais laissera finalement le peuple du Trans-Sabal décider lui-même du sort du dictateur.
Farnoq finit donc assassiné par un homme de son peuple…. du moins le croit-on.
Pendant ce temps, Betty et Marlo partent à la rencontre de la supposée mère de Rick, sorte de baba-cool new age ayant dû abandonner son fils pour échapper à de mystérieux poursuivants. »

Cet arc fait encore grincer des dents puisque sorti peu après la première guerre du Golfe et n’hésite pas à questionner le cynisme avec lequel la première démocratie du monde mène ses affaires.
Si ce genre d’histoire est devenu courant dans les comics depuis Warren Ellis, Garth Ennis, Mark Millar et les mandats de George W. Bush, PAD fait figure de précurseur en posant des questions qui dérangent.
Droit d’ingérence ou des peuples à disposer d’eux-mêmes, soutien des USA à des régimes autoritaires dès que ça sert leurs intérêts économiques ou géostratégiques quitte à créer de nouvelles menaces qui nous exploseront à la gueule un jour ou l’autre… même l’hypocrisie des fous de dieu de Farnoq est traitée dans cet arc court mais dense.
David lève le voile sur les agissements parfois peu avouables de son gouvernement en questionnant à nouveau le lecteur.
Il faut souligner l’habileté du scénariste qui arrive à gérer les positions opposées de ses deux groupes de héros sans faire passer l’un ou l’autre pour des salauds sans âme (nous ne viserons ici aucun event produit depuis 10 ans mais il est amusant de constater que le plus célèbre d’entre eux n’a pas su résister à cette tentation).
Hulk soutient l’aide aux populations défavorisées tandis que X-Factor est partisan de la position de les laisser décider d’elles-mêmes de leur destin.
Le personnage qui une fois de plus va évoluer drastiquement et servir d’identification au lecteur c’est Rick Jones.
Le simple homme de la rue plongé dans un conflit dont les tenants et les aboutissants le dépasse et qui se retrouve d’un coup tiré hors de son confort d’homme occidental moyen bien loin de ces préoccupations philosophiques et politiques pour se trouver plongé face à une folie, une horreur et une violence bien réelle pour une fois.
Assistant aux crimes de Farnoq Dahn, c’est finalement lui qui assassinera le tyran dans un geste lourd de conséquences.
La dernière page où il trouve une confidente en la personne de l’autre innocente brisée Rahne Sinclair (se reporter à la série X-Factor du même PAD pour savoir de quoi il en retourne) avec un Hulk pensif et amer en arrière-plan est tout simplement superbe et tire une conclusion bien sombre des causes et conséquences de la guerre sur les êtres humains.

Comme toujours, Peter David réussit à contrebalancer habilement la noirceur de son histoire par de sympathiques touches d’humour et des références populaires qui lui permettent à la fois d’aérer ce récit asphyxiant et de donner encore plus de poids aux scènes chocs.
Rien que l’entrée en scène d’un Hulk surchargés de big guns tel un Cable moyen est tournée en dérision par le port d’une paire de chaussons « lapinou » d’un rose du plus bel effet.
Hulk prend toujours un malin plaisir à ridiculiser ses adversaires avec des bons mots bien placés tandis que les membres de X-Factor ont bien du mal à assumer leur statut officiel et passent leur temps à blaguer afin d’évacuer la pression.
On note au passage une séquence hilarante où Banner rejoue la dualité Clark Kent/Superman avec une paire de lunettes lors de la visite de Rick Jones.
Un Jones qui surprend d’ailleurs Bruce en train de lire un exemplaire de « comment donner du plaisir à une femme et la faire supplier d’en avoir plus? »; le même Jones questionnera plus tard la qualité de l’hygiène dentaire du géant vert.
PAD continue de glisser des références à la culture populaire de l’époque avec des blagues tournant autour de Indiana Jones et la Dernière Croisade ou de T2.
L’influence de Terminator sur son run prendra d’ailleurs plus d’importance dans un futur proche.

L’auteur fait aussi preuve d’une certaine malice marketing qui lui permet d’attirer l’attention sur sa série sans pour autant la dénaturer.
Le gimmick le plus évident est bien sûr le côté crossover de cet arc, de surcroît avec les habitués de l’exercice que sont les populaires mutants.
Mais David arrive à se dédouaner de tout opportunisme puisqu’il écrit X-Factor à la même période et que l’intervention de ceux-ci dans l’arc se fait de manière tout à fait naturelle et sans « déformation » des personnages.
De plus, cette confrontation agit comme un écho de la rencontre de Hulk avec la première équipe d’X-Factor (Hulk 336-337).
L’autre concession à la mode, c’est de doter Hulk d’armes à feu surpuissantes aux calibres aussi démesurés que risibles.
Dans une double démarche, PAD fait semblant de suivre la mode des Image Boys (dont on sait qu’il ne les porte pas dans son cœur) pour mieux la ridiculiser.
Quel intérêt en effet à doter l’être le plus puissant du monde de gros joujous qui font boum ?
C’est cette violence virtuelle bébête que le scénariste ridiculise grâce aux fameux chaussons et en la confrontant à la violence psychologique bien réelle de la guerre.
Hulk se délestera donc progressivement de ses big guns pour préférer un gaz non-létal avant d’en revenir à ses poings pour finalement mieux renoncer à la violence et essayer de trouver une solution par la parole.

Dale Keown, lui, doit encore composer avec la censure de Marvel qui considère que les tenues des danseuses de Farnoq sont trop légères et lui demande de rajouter un peu de tissu.
Malgré ce petit accroc, le canadien et son encreur Mark Farmer livrent ici une prestation sans faille et en osmose totale avec le script de leur scénariste.
Il se pourrait même bien que de tout le run de Dale Keown sur The Incredible Hulk la trilogie War & Pieces en soit le sommet graphique.
Une bien belle manière de célébrer les 30 ans de Hulk juste avant le numéro anniversaire.
